
Du 14 au 16 mars, la Cinquième Salle de la Place des Arts accueillait le spectacle de danse-théâtre Tlakentli. Leticia Vera et Carlos Rivera, danseurs-chorégraphes immigrés du Mexique d’origines mixtèque et nahuat, ont réalisé cette création en collaboration avec le metteur en scène Yves Sioui Durand, qui a cofondé la compagnie de théâtre amérindien francophone Ondinnok. Leticia Vera et Carlos Rivera nous révèlent la complexité de la quête identitaire exposée dans Tlakentli.
Leticia Vera est à l’origine du spectacle. Depuis 2010, elle travaille comme interprète et chorégraphe au sein de la compagnie Ondinnok, qui est engagée dans l’exploration, la reconnaissance et la célébration des racines autochtones du continent américain.
« Au cours d’un projet de médiation culturelle avec Ondinnok et La Marie Debout, les femmes ont très naturellement apporté à la cérémonie leurs photos de famille. Ça m’a fait réaliser que je n’avais rien de ma famille ! J’ai senti le besoin de me reconnecter, de savoir qui je suis et pourquoi j’ai immigré au nord de l’Amérique. C’était le moment d’honorer mes ancêtres, de prendre conscience de mes origines autochtones et de les mettre en lumière. C’est important de se réconcilier avec la société, mais l’affirmation de notre identité, ça commence par nous-mêmes. » explique la danseuse Leticia Vera. « La quête identitaire est une question universelle, mais pour moi, le fait d’avoir migré du Mexique au Canada rend le questionnement plus profond encore. » ajoute Carlos Rivera.
Par la danse, les interprètes explorent et se réapproprient leurs origines autochtones longtemps niées. Ils affirment dans le même temps, dans une démarche décolonisatrice, une danse contemporaine autochtone.
« La danse, c’est un instinct, un langage primitif et universel. Elle relie l’être humain avec une cosmogonie et aussi avec un territoire et une culture. Pour nous, elle est le train qui conduit directement à la bonne adresse ! Aussi, on entend souvent que la danse contemporaine est occidentale, alors c’est l’occasion de briser les frontières. Dans le processus de création, on a construit un langage original entre danse contemporaine, danse rituelle et ancestrale, danse sociale et danse populaire. » raconte la chorégraphe Leticia Vera.
La riche matière de Tlakentli a présenté un important défi de conciliation pour les deux interprètes, d’autant plus que le sujet les touche de façon si intime.
« Ce spectacle n’est ni seulement de la danse ni seulement du théâtre, alors il a fallu négocier afin de trouver l’équilibre entre ces deux formes d’expression. Il a fallu aussi rendre ce spectacle si personnel universel, pour que le spectateur puisse comprendre et s’identifier. On a appris à ne pas mener tout le temps, à renoncer parfois à ses idées et offrir son énergie pour réaliser celles des autres. » confie Carlos Rivera. « Il a fallu concilier danse et théâtre, mais aussi en même temps concilier les différentes langues du spectacle, c’est-à-dire les langues coloniales – français, anglais et espagnol – et la langue nahuatl que nous voulions mettre en valeur. De plus, nous avons dû coudre ensemble les histoires des personnages qui se sont manifestés durant la recherche, celles de nos grands-parents, mais aussi celles d’autres immigrants et habitants du village, en plus de nos histoires personnelles à tous les deux. Finalement, on raconte l’histoire de la société mexicaine. » précise Leticia Vera.
Tlakentli signifie « vêtement » en langue nahuatl. Durant le spectacle, les danseurs changent à plusieurs reprises de costume, illustrant ainsi les variations identitaires, volontaires ou subies, au cours des époques et des migrations.
« Il faut changer de peau pour continuer à vivre, avancer, grandir. L’idée des changements de costume vient de l’exemple du serpent, qui change souvent de peau pour renaître. Dans ce spectacle, ça illustre aussi comment chaque personne immigrée s’adapte à son pays d’adoption, comment elle ajoute des choses pour se cacher ou au contraire montrer qui elle est. » explique Carlos Rivera.
Au travers des métamorphoses apparait l’identité autochtone au fil des siècles. On voit le passage d’un vêtement qui fait du sens à un vêtement qui permet d’avoir une place dans une société qui ne reconnait pas l’identité des natifs. Le vêtement devient camouflage, travestissement, carcan.
« Dans la pièce, on voit des huipils, c’est un vêtement traditionnel du Mexique. On essaye de respecter ce qui est inscrit dans le textile, car il a été fabriqué artisanalement avec une intention, celle de transmettre une vision de la vie, une cosmogonie et une identité. » déclare Leticia Vera. « Je pense à ce qui se passe quand on s’habille. Pour moi, il s’agit aussi de ce qu’on perd. Par exemple, dans certaines industries, il y a un code vestimentaire. C’est intéressant de voir comment le vêtement définit la culture et les idées d’une personne. En Amérique latine, ce sont les femmes qui ont la connaissance de l’habillement traditionnel, ses matériaux, dessins, couleurs et significations. Quand elles ont perdu ça, elles ont perdu l’identité, la philosophie, l’idée de ce à quoi le monde ressemble. C’est à ce point complexe et profond. Comment garder la tradition vivante, quand on doit porter un costume ? » réfléchit Carlos Rivera.
Spectacle de danse-théâtre sur la quête identitaire de l’immigré d’origine autochtone, Tlakentli était en représentation du 14 au 16 mars à la Cinquième Salle de la Place des Arts.
Article par Magali Balles.