Monday

19-05-2025 Vol 19

L’individualité éteinte

Il arrive souvent dans l’histoire qu’il y ait des rendez-vous ratés entre nous et les générations qui nous précédent ou celles qui nous suivent. Mon plus grand regret est d’avoir raté Jean-Pierre Ronfard d’à peine dix ans. C’est ce même sentiment qui m’a assaillie à la sortie de Humanity Project : j’avais raté Paula de Vasconcelos dans ses années de grands succès.

Humanity Project (Crédit photo Paul-Antoine Taillefer)
© Paul-Antoine Taillefer

Une scène vide, un mur bleu en fond de scène. Un homme vient s’adosser. Puis une femme. Puis une autre. Puis une autre. Puis encore un homme et ainsi de suite jusqu’à ce qu’apparaissent les trente interprètes du spectacle, danseurs et autres. Une multitude de regards, de silhouettes, d’âges et de gestuelles différentes. Ils bougent simultanément, formant et reformant des configurations scéniques qui se répètent bien vite. Les plus jeunes offrent à quelques reprises une courte performance à dix, rare souffle de vie dans une autrement longue série de tableaux plus ou moins statiques.

Cette envie de mettre le public en scène (celui qui vit tous les jours, pas l’autre, assis et muet dans la salle) semble être de plus en plus répandue. Mais ces visages habituellement souriants se trouvaient maintenant figés dans une chorégraphie hermétique. Trop souvent immobiles, les participants n’avaient plus le moindre espace pour exprimer leur personnalité ou leur corporalité. Ceux qu’on avait vus si épanouis dans le Continental XL de Sylvain Émard en 2011 restaient volontairement stoïques, comme éteints. « Ce ne sont pas des comédiens », me dira-t-on. N’est-ce pas une raison de plus pour ne pas leur donner un travail d’acteur? Même parmi les professionnels, ils sont rares à pouvoir transmettre de fortes émotions en restant immobiles. On aura peut-être voulu miser sur le nombre plutôt que sur la qualité, mais on aura alors oublié que dix personnes qui s’enflamment sur scène valent plus que 100 corps enfermés dans un mutisme corporel. Les chorégraphes ont omis de présenter leurs interprètes, préférant leur donner des personnages affables et faussement spirituels. On ne leur a pas permis de danser, de créer ou même d’incarner leur ivresse de la scène. Il en résulte donc une bien pâle imitation de leur individualité.

Humanity Project semble ainsi être resté en surface. Le spectacle, parfois beau esthétiquement, n’a rien de précis à dire. Les trop nombreux face à face avec le public n’offrent rapidement plus de surprise et meublent mal les vides de la chorégraphie. Il faudrait resserrer, préciser, retourner à cette recherche de diversité et d’éclatement qui a fait de Pigeon International une figure de proue de la danse contemporaine québécoise. Vivement un retour à Babylone.

Humanity Project de Paula de Vasconcelos, présenté 5e Salle de la Place des arts du 5 au 23 février 2012. M.E.S. Paula de Vasconcelos.

Article par Corinne Pulgar. Bachelière en art dramatique, parfois régisseur, metteur en scène et conseillère dramaturgique. Aussi végétarienne, humaniste, addict de la parrhésie et numéricienne lettrée.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM