Dans la pièce de théâtre interactive Madame Catherine prépare sa classe de 3e pour l’irrémédiable, présentée au Théâtre Prospero par le Théâtre Surreal Soreal, les spectateurs et spectatrices retombent dans la peau d’un élève du primaire pendant l’heure que dure la performance. Après la remise d’un autocollant où figure le nom d’un élève de la classe 3B à quelques élus consentants, l’appréhension s’installe quant au degré d’implication que ce petit rectangle collé sur le chandail implique.
Dès les premières minutes, la comédienne Alice Pascual parvient à nous convaincre grâce à son interprétation très convaincante d’une enseignante du primaire, mimiques et vocabulaire inclus. Les souvenirs de la petite école refont surface et on se prend vite au jeu.
Il ne s’agira cependant pas d’une journée de classe ordinaire puisque seront abordées les fusillades dans les écoles, un sujet ayant occupé les manchettes de ces dernières années avec une triste régularité. On pense donc à Parkland, Sandy Hook et Dawson, ici, à Montréal. Les enfants ne sont pas immunisés contre de telles nouvelles dont ils finissent toujours par en entendre parler et la sécurité de ses élèves chéris obsède Madame Catherine. Elle ne peut attendre que la suggestion de Donald Drumpf d’armer les professeurs soit mise en œuvre et prendra les devants afin de préparer sa classe à une éventuelle catastrophe.
Presque tout au long de cette curieuse pièce de la scénariste queer et albertaine Elena Belyea, traduite de l’anglais par Olivier Sylvestre pour la production montréalaise, l’actrice dialoguera seule avec sa «classe». Le choix d’une petite salle était donc une bonne décision. D’enseignante classique peut-être un peu trop investie à paranoïaque inquiétante, l’actrice joue sa métamorphose au fil des rires, de la consternation et des larmes du public.
Dérangée mais attachante Alice Pascual
Les amateurs du genre encenseront l’humour noir qui teinte la pièce et qui est récurrent dans les dialogues. Par exemple, cette délicieuse leçon de Mme Catherine, outrageusement manipulatrice au point d’arracher un sourire: «Quand un tireur fait irruption dans une école, y’a juste deux types d’enfants: les morts et les vivants. Rappelle-le à tes parents». Alice Pascual livre délicieusement son texte avec mordant et une énergie qui ne laisse pas indifférent. Elle peut s’appuyer sur un script rempli de petits bijoux, comme l’idée d’inventer un rap, assorti de pas de danse, sur les consignes d’urgence: cours, cache-toi, attaque! L’air revient immédiatement en tête!
L’adaptation d’un sujet comme les fusillades à un public (supposé) d’enfants implique d’être créatif. Madame Catherine a recourt à des marionnettes et, de façon plus marquante, à l’interprétation de tireurs célèbres.

Madame Catherine prépare sa classe de troisième à l’irrémédiable. Crédit photo: Zoe Roux
Madame Catherine reste attachante malgré sa folie, car on ne perd jamais de vue son côté humain. Des confidences personnelles, dans la deuxième moitié de l’heure, relancent l’intrigue. Sa façade d’enseignante débordante d’enthousiasme s’estompe lorsqu’elle nous accorde l’accès à sa souffrance intérieure: ses relations personnelles conflictuelles et son anxiété maladive face aux nouvelles télévisées qui dépeignent quotidiennement les malheurs du monde.
Alice Pascual n’en est pas à ses premières armes. Interprète de Manuela dans la série Trop, elle a précédemment enchaîné les téléromans en gardant toujours du temps pour le théâtre, son premier amour. Alors qu’on l’avait davantage vue dans des rôles plus dramatiques, ce rôle d’enseignante exubérante fait ressortir le talent d’Alice Pascual pour la comédie.
Madame Catherine prépare sa classe de 3e pour l’irrémédiable aborde un sujet d’actualité sensible du point de vue original d’une enseignante qui s’inquiète de son impuissance face à l’éventualité d’une fusillade. Dans le débat sur la question des armes à feu aux États-Unis, le rôle que tiennent les enseignants est un aspect qui est souvent abordé. Cependant, et c’est là une partie importante du propos de la pièce, à trop vouloir prendre de précautions, on pourrait finir par porter préjudice à ceux-là même qu’on essaie de protéger. Même si la pièce a été écrite quelques années auparavant, elle se trouve à être drôlement clairvoyante en regard de l’incident survenu le 13 mars dernier, dans une école secondaire de la Californie, alors qu’un professeur tirait accidentellement vers le plafond pendant un atelier sur la sécurité. D’un côté comme de l’autre, la radicalité est toujours dangereuse.
Est-ce nécessaire d’intégrer à la formation scolaire des ateliers ou des mises en situation en classe pour préparer les élèves en cas d’attaque ou bien est-ce que cela contribuerait à alimenter une paranoïa malsaine qui pourrait créer des séquelles psychologiques chez les enfants? Le milieu scolaire québécois semble pour l’instant, épargné par cet épineux dilemme, mais nous n’en sommes qu’à une tragédie près.
Madame Catherine prépare sa classe de 3e pour l’irrémédiable était présenté du 27 mars au 14 avril 2018 au Théâtre Prospero.
Article par Sandrine Gagné-Acoulon.