À partir du 19 janvier prochain, Danse Danse accueille une des plus grandes compagnies de danse contemporaine : Batsheva Dance Company. Cette troupe israélienne doit en grande partie son succès à l’exigeant directeur artistique qui la conduit depuis 1990. C’est aussi grâce à sa nouvelle technique de danse appelée le Gaga, qu’Ohad Naharin a su développer son langage gestuel propre et des propositions chorégraphiques originales. Ses créations sont aujourd’hui parmi les plus reconnues internationalement.
En octobre 2015 sortait alors un documentaire intitulé Mr Gaga: Into the mind of Ohad Naharin. Réalisé par le documentariste israélien Tomer Heymann, le film retrace la vie professionnelle, ainsi que certains moments marquants de la vie personnelle du chorégraphe notoire. Au grand plaisir du spectateur, de nombreuses scènes montrent des extraits de pièces de groupes chorégraphiées par Naharin (My last work, Deca dance, Hora, etc), mais aussi des fragments de l’histoire de la danse moderne américaine, ainsi que l’intimité de certaines répétitions de la Batsheva Dance Company. Entre images d’archives new-yorkaises des années 70-80, entrevues et séquences dansées, ce documentaire nous fait découvrir un créateur de génie, un interprète au parcours tumultueux, un humain exigeant et un patriote critique.
L’histoire commence dans le Kibboutz de Mizra au nord d’Israël. Naharin en conserve un souvenir marquant de liberté et de communauté avec les autres enfants. Jeune adulte, comme tous les Israéliens, il entreprend son service militaire où il fera plutôt partie de l’équipe de divertissement, et commence donc à jouer et à danser. Car, c’est très tard que Naharin envisage réellement de faire de la danse son activité professionnelle. Il quitte alors Israël pour New York sur invitation de l’illustre Martha Graham. Doué, il intègre à la fois Juilliard School et The School of American Ballet. Toutefois, il ne travaille pas longtemps avec Graham, déclarant qu’il n’aime pas ses méthodes et ses propositions chorégraphiques. Si, au cours de son expérience new-yorkaise, le jeune danseur fraye brièvement avec des chorégraphes de renom, il semble rejeter les courants actuels et avoir du mal à trouver sa place.
À la fin des années 70, il rencontre celle qui deviendra son grand amour et son principal soutien dans la création : Mari Kajiwara. Danseuse importante pour Alvin Ailey, un chorégraphe afro-américain réputé qui crée sa propre compagnie interraciale dès 1958, elle quitte alors le groupe pour accompagner son conjoint dans ses débuts comme chorégraphe indépendant. Plusieurs amis et collègues de l’époque affirment que Naharin possède un style unique, une manière de bouger singulière. Lui répète surtout que la danse l’amène à embrasser sa part de féminité, « dance is above gender », affirme-t-il. En plus d’une fluidité accrue, il cherche aussi à accentuer l’animal présent en chacun de nous. À la fin de la vingtaine, Naharin souffre de graves douleurs au dos et doit se faire opérer. Sa rééducation le mène à reconsidérer sa manière de bouger ainsi que les entrainements qui conditionnent le corps des danseurs et danseuses.

Crédit photographique: Gadi Dagon
C’est alors qu’il élabore sa nouvelle technique, le Gaga. Malheureusement, le film ne permet pas de bien comprendre cette méthode qui semble avoir révolutionné sa pratique, et qui se propage aujourd’hui sur tous les continents dans le monde artistique. À part un amour inconditionnel du mouvement libre, de l’improvisation et d’un renouvèlement du travail avec la gravité, les spectateurs du documentaire n’en sauront pas beaucoup plus sur cette technique qui insiste en fait beaucoup sur l’ondulation de la colonne vertébrale, les pulsions du pelvis et une écoute particulière du corps dans un environnement toujours sans miroir.
De retour en Israël, Naharin est dorénavant à la tête de la Batsheva Dance Company. Les interprètes adhèrent donc à cette pratique qui deviendra leur marque de commerce. Désormais, l’apprentissage dans la compagnie ne se fait plus selon la technique Graham, mais Gaga. Être à l’écoute de ses sensations, imaginer des textures, des points de rencontres internes dans le corps, être tout-à-fait conscient de soi-même, sont en fait des points centraux à l’entrainement Gaga. Un corps désarticulé, libéré et une emphase sur les mouvements de bassin sont le résultat visuel de cet entrainement.

Crédit photographique: Heymann Brothers Film
Faisant la fierté de Tel-Aviv, la compagnie est alors invitée à performer pour le 50e anniversaire du pays et se retrouve en conflit idéologique avec le gouvernement israélien. Cet épisode incite la société civile à contester et à manifester contre la censure. Naharin, qui à plusieurs reprises revendique ostensiblement son patrimoine culturel et son amour pour son pays, en vient lui aussi à critiquer la politique israélienne.
Car, il peut être bon de savoir que la Batsheva Dance Company est créée en 1964 par un riche Israélien et est alors conçue comme un symbole culturel fort de Tel-Aviv. Bien que Naharin en soit aujourd’hui le directeur artistique, il est difficile de dissocier complètement la politique de son histoire. La situation politique de cette région du globe étant si dure et complexe, il aurait été étrange d’omettre complètement la question, surtout quand le documentariste est aussi israélien et que la guerre semble avoir fait partie du parcours de l’artiste. Cependant, aucun des protagonistes ne s’avance réellement dans ses positions politiques et il a semblé que la critique se fait à demi-mot. On aurait aimé que certains de ces enjeux soient davantage abordés.
Somme toute, le documentaire ne trace pas le portrait d’un individu chaleureux ou sympathique, mais d’un amoureux de la danse qui, comme bien d’autres grands créateurs, peut parfois avoir de la difficulté à exprimer sa vision artistique à ses interprètes. Quelques expériences malaisantes sur sa vie personnelle et sur ses interactions avec ses danseurs sont dérangeantes. Malgré tout, son travail artistique est novateur, rare et précieux, et, grâce à lui, Israël s’impose de plus en plus sur la scène internationale de danse contemporaine.
Le documentaire Mr Gaga: Into the mind of Ohad Naharin, réalisé par Tomer Heymann, sera présenté dans certaines salles de Montréal à partir du 20 janvier 2017. Danse Danse présente la pièce Last Work, de la Batsheva Dance Company, du 19 au 21 janvier 2017 à la Place des Arts de Montréal.