En allant voir un film appelé Medianeras, je m’attends à quelque chose d’exotique. Après tout, je suis bien au Festival du Cinéma Latino-Américain de Montréal (FCLM). Les affiches colorées qui nous invitent au Cinéma du Parc me rappellent même l’image festive que j’avais enfant de l’Amérique latine. Comme si tout devait ressembler au festival de Rio. Seulement quelques minutes après le début de la projection, je réalise la naïveté de ma présomption.
À son premier long-métrage, le réalisateur argentin Gustavo Taretto commence par nous présenter la ville de Buenos Aires. Loin d’être dépaysés, les cinéphiles vont peut-être même se croire à New York. Non pas que les grands centres urbains sont tous identiques. C’est plutôt la direction photo de cette séquence qui n’est pas sans rappeler les premières images du film Manhattan de Woody Allen (1979). On retrouve même une référence explicite à ce classique américain plus loin dans l’intrigue.
Bien plus qu’un simple hommage, cette première scène résume pratiquement à elle seule tout le film. Avec Medianeras, Taretto réfléchit sur l’une de ses passions, l’architecture, ainsi que sur sa portée anthropologique. L’exercice est audacieux, mais le réalisateur parvient à nous faire comprendre rapidement ses intentions à l’aide de la narration et de sa caméra. Il capture les gratte-ciel de la capitale argentine dans toutes leurs incohérences, leurs styles incongrus. Les bâtiments ont été construits sans égards les uns aux autres, reflétant l’indifférence de la population urbaine envers elle-même, raconte Martìn (Javier Drolas). Les lignes électriques qui traversent le ciel apparaissent comme étant presque tranchantes au spectateur. Ces frontières entre les propriétés isolent du même coup les citoyens, compartimentés dans leurs « boîtes à chaussures » respectives. Séparés par les médianeras, signifiant littéralement « murs mitoyens ». Ou du moins, c’est de la façon dont les protagonistes Martìn et Mariana (Pilar López de Ayala) conçoivent leur environnement.
Gustavo Taretto s’est inspiré de ses propres névroses pour construire ses personnages. Les deux antihéros de ce film souffrent de phobies qui les dissuadent d’entrer en contact avec le monde extérieur. Souvent, ils sont mis en scène comme étant lents, immobiles, amorphes. Les scènes dans les appartements sont longues, statiques. Les couleurs sont froides, même à l’extérieur, sous le soleil de l’Amérique du Sud. Comme s’ils appartenaient à un autre monde, leurs interactions avec les autres semblent anormales. Pourtant, ces personnages nous sont familiers à nous, spectateurs (tout dépendant votre âge). Leur quotidien est truffé de référence populaire : la bande dessinée Où est Charlie?, les publicités diffusées à travers le monde, la télévision, les films, le langage internet, etc. Avec son film, Gustavo Taretto cible donc cette jeunesse qui n’est plus si jeune. Martìn et Mariana approchent la trentaine, mais ils restent figés dans le temps. Par peur, par phobies paralysantes. Le ton reste léger, cependant. Taretto préfère pointer vers l’espoir.
Malgré le succès remporté par son film (Coup de cœur du public à Berlin et à Toulouse), la carrière de Gustavo Taretto n’est pas nécessairement lancée. À 47 ans, difficile de prévoir la suite des choses pour ce prolifique réalisateur. En attendant, il contribue au rayonnement du cinéma argentin sur la scène internationale. D’ailleurs, la sélection officielle du FCLM, Abrir Puertas Y Ventanas vient également d’Argentine. Le festival se déroule au Cinéma du Parc jusqu’au 22 avril.
Article par Francis Dufresne.