Établie aux Îles-de-la-Madeleine depuis 2007, la Morue verte s’est donnée pour mandat la publication et la diffusion des créatrices et créateurs madelinots, toutes disciplines confondues, afin de faire rayonner la riche culture insulaire. Première publication de Nathaël Molaison, le recueil poétique il n’y aura pas d’autres saisons, paru le 15 juillet dernier vient se joindre au firmament d’une maison déjà bien garnie.
« La « morue verte » est le nom que donnaient les pêcheurs au poisson qui était étêté, éviscéré et salé dès sa capture pour en assurer la conservation. La morue était par la suite écoulée sur les marchés locaux et européens. Nous espérons que de la même manière, nos livres quitteront les Îles pour rencontrer les lecteurs de la grand’terre. » (extrait du site Internet : http://www.lamorueverte.ca/)
Par touches impressionnistes, Molaison peint un paysage triptyque aux énergies mouvantes. C’est d’abord avec une ardeur maîtrisée qu’il saigne le désir, brasier destructeur qui se consumera jusqu’à ses braises. Passant de l’intensité décadente d’une proximité charnelle avec l’Autre, il explorera la vacuité démesurée de la perte et du manque pour finir avec une rencontre avec la nature, un tremplin annonçant une reconstruction d’un soi sur ses ruines. L’auteur esquisse ainsi les contours d’un pays intérieur de deuil et de résilience, où le passage des saisons se fait vaisseau de l’âme. À travers les turbulences typographiques, le corps à la dérive finit par se jeter au large comme on lance une bouteille à la mer, accomplissant son rite. Tandis que l’orage gronde, à l’horizon pointe une force nouvelle, à la fois funeste et sereine, résolue.
« mes lunettes fumées
ne fuient pas l’orage
à présent
j’héberge la tempête
le rire fou des sirènes » (p. 63)
La simplicité de l’expression de Molaison n’a d’égale que sa puissance; chaque mot appuie sur la pédale de résonance d’un univers concret, tactile. En apparence très intimiste, son univers délié convie plutôt au partage d’un éthos aux contradictions universelles, tourné vers l’interrogation. Limpide, son phrasé éventé caresse l’oreille muette, y égrainant son sel légèrement corrosif. En effet, l’extrême dénuement des compositions finit par éroder nos parois, et y creuser des trous afin de mieux faire entendre l’écho de ses cris.
« une goutte de sang
éclot dans ma trachée
un appétit sauvage
me prend
pour naître il faut se salir
défricher le sol où l’on marche » (p. 44)
En même temps je me trouve à lire, par hasard, le dernier recueil de textes du chanteur et poète Georges Langford, Un point sur la mer, aussi paru cet été chez la Morue verte. S’il s’agit de deux voix bien différentes, en naviguant de l’une à l’autre, je n’ai pu m’empêcher de me questionner sur l’influence des Îles sur sa littérature, sur la manière dont l’univers de l’archipel forge les mains et le cœur de ses auteur.es. On retrouve ici et là le salange et le sable des rives, mais quelque chose de plus grand et subtil se dessine derrière les mots, dans la teinte même des mots, comme une inflexion du souffle. Peut-être est-ce dû à l’omniprésence de la nature, qui s’infiltre dans le quotidien? Peut-être est-ce ce quelque chose de la métaphysique du ciel de l’archipel, cette lourdeur céleste qui s’élève en même temps qu’elle pèse sur les corps.
Qu’elle soit le résultat d’un don du ciel ou d’un talent terrestre, l’œuvre que signe ici Nathaël Molaison est d’une grande justesse, investie et acérée, qui nous fait espérer d’autres belles saisons de sa part.
Notez que le recueil, comme toutes les publications de la Morue, est en vente partout au Québec.
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Molaison, Nathaël. il n’y aura pas d’autres saisons. Gros-Cap : la Morue Verte, 2016, 63 p.
Article par Fanie Demeule.