Après avoir déjà présenté l’histoire d’Omi Mouna en 2005 à Montréal, Mohsen El Gharbi nous revient cette année avec un spectacle sur l’histoire de sa famille: Omi Mouna (ou ma rencontre fantastique avec mon arrière-grand-mère) présenté du 10 au 14 octobre 2017 au MAI (Montréal, arts interculturels). El Gharbi nous présente un solo relatant la vie de son arrière-grand-mère paternelle et de la violence qu’elle a vécu et qui, malheureusement, s’est transmise de génération en génération.

Omi Mouna. Crédits photo: Alex Paillon
Dès le début de la pièce, El Gharbi s’avise de la présence du public et ce dernier est souvent pris à parti dans certains apartés tels que «c’est mon spectacle, je fais ce que je veux». Nous partons en avion avec El Gharbi. C’est le seul moment où j’ai tiqué; en tant qu’ex-agente de bord, j’avais du mal à entrer dans son délire déformant la réalité de l’aviation, mais je m’éloigne. El Gharbi part avec son meilleur ami Xavier filmer son arrière-grand-mère, après la mort de son père. N’ayant plus personne dans sa famille excepté lui-même et son arrière-grand-mère, il part à la conquête de son histoire familial et tente de la découvrir en parlant avec Mouna. D’ailleurs, El Gharbi en a réellement fait un film, Le secret d’Omi Mouna, qui a notamment été présenté aux Rendez-vous du cinéma québécois, en 2016.
Mohsen El Gharbi arrive chez son arrière-grand-mère en Tunisie et c’est à ce moment qu’on bascule dans la quatrième dimension avec lui, alors qu’il remonte le temps et vit à l’époque de Mouna, jusqu’à sa propre naissance. Il voit alors défiler des années de sévices que son arrière-grand-père inflige à Mouna, jusqu’à ce qu’elle doive être hospitalisée durant trois mois pour cause de blessures trop importantes qui ont, d’ailleurs, emporté un de ses enfants. Lorsqu’elle revient chez elle, son conjoint s’est déjà remarié avec une autre femme. Mouna reprend sa place dans la maison pendant que la nouvelle épouse épluche des patates. Mouna l’aide et, voyant la technique particulière qu’elle emploie, la nouvelle épouse tente de la reproduire. Le mari violent revient et s’emporte sur les deux femmes, mais elles sont sauvées puisqu’il atterrit sur le couteau que tenait la deuxième femme et il meurt empalée, de la façon la plus surprenante qui soit.
C’est donc le récit d’une femme qui réussit à se sauver d’un homme brutal, en sauvant aussi ses enfants. Bien qu’on raconte ici l’histoire d’un cycle de violence se perpétuant, El Gharbi nous invite aussi à voir qu’il est possible de casser ledit cycle. En effet, ce n’est pas parce qu’on subit de la violence que nous devons la reproduire, même si c’est la seule chose que nous connaissons.
El Gharbi improvise le spectacle chaque soir et nous le sentons parfois dans l’interprétation. Comme il connaît son canevas extrêmement bien, il semble parfois vouloir aller trop vite et se rendre à la prochaine «étape» du conte, ce qui le fait bafouiller dans son texte. On le sent aussi essoufflé à certains moments, probablement en voulant justement rattraper un retard quelconque dans le canevas. D’un autre côté, rares sont les temps morts et El Gharbi réussit à nous tenir en haleine durant toute l’heure et quart que dure la représentation. Chapeau.

Omi Mouna. Crédits photo: Alex Paillon
Le plateau est complètement nu et c’est sur ce dernier qu’El Gharbi nous transporte du Canada à la Tunisie, en passant par la France. La première image est particulièrement belle, puisqu’un faible rayon lumineux éclaire une étroite partie de la scène alors qu’El Gharbi déverse son fiel à son père sur son lit de mort. C’est la plus belle image lumineuse qu’a créée Armando Gomez Rubio, dont les éclairages sont les seuls partenaires pour le comédien seul en scène. Les éclairages nous aident particulièrement à décoder le registre réaliste ou surréaliste de la pièce et permettent de nous situer par rapport au présent ou au passé du récit. En effet, comme El Gharbi nous amène avec lui dans des envolées complètement invraisemblables, comme d’assister à l’annonce de sa propre naissance à Mouna, les éclairages nous dressent les lignes directrices de la temporalité.
Si je n’avais qu’une raison d’encourager le public à aller voir le spectacle, ce serait la dernière phrase énoncée par El Gharbi après que la lumière se soit rallumée dans la salle. Il voit alors le public et, heureux, il espère nous croiser dans la rue, qu’on se regarde et que «peut-être nous ne ferons pas la guerre». Dans cette seule réplique, El Gharbi cerne le problème de la société québécoise qui, trop enfoncée dans sa xénophobie, craint les immigrants comme la peste. Si chaque citoyen était personnellement confronté à l’histoire des nouveaux arrivants, on aurait un tout autre regard sur eux, beaucoup plus empathique, terriblement moins méfiant et, disons-le, agressif. Malheureusement, ladite société ne fréquente pas tellement le théâtre et encore moins les salles comme celle du MAI. J’ai pu en être témoin puisque, en entrant dans la salle, on nous a demandé de nous asseoir dans les premières rangées comme nous étions peu nombreux.
Omi Mouna (ou ma rencontre fantastique avec mon arrière-grand-mère) était présenté du 10 au 14 octobre 2017 au MAI.