Au hashtag #OscarsSoWhite, peut-être devrions-nous en ajouter un nouveau : #OscarsSoPredictable. Car encore cette année, l’Académie aura fait ce qu’elle sait faire de mieux.
Écarter les meilleurs films – cette fois-ci Carol, Creed, Mad Max : Fury Road et The Hateful Eight – des prix «majeurs», puis les ensevelir sous les prix «mineurs » – six pour Mad Max!!! – afin que les mathématiques puissent au moins servir d’alibi au manque de goût, et couronner une série de films naviguant entre l’insignifiance et la bêtise – cette fois-ci Spotlight et The Revenant – afin d’assurer la croissance de la marque de commerce Oscars Inc., qui se spécialise dans l’exportation de drames à la mise en scène pétrie d’un académisme de bon aloi et de films centrés sur la performance «extrême» d’un acteur ou d’une actrice dont le plus grand fait d’arme aura été de rester assis sans bouger sur la chaise du maquilleur pendant plus de trois heures ou de perdre vingt kilos en trois semaines.
On se souviendra de 2016 comme d’une année relativement faible pour la grosse machine hollywoodienne au vu de la consécration de Spotlight, un film dont le manque d’ambition formelle – ou plutôt l’ambition affichée de gagner le Saint-Graal dès le premier plan – n’a d’égal que le peu d’enthousiasme qui semble avoir accompagné sa longue marche vers la gloire, un peu comme s’il n’avait été adoubé que par dépit. Mais comment faire autrement devant une année dont les nominés laissent aussi généralement de glace? Autant alors consacrer le fait, à grands coups d’appels téléphoniques rageurs, que la pédophilie, c’est mal. Le Gala du cinéma québécois peut être lancé.
Sinon, vous avez vu la nouvelle?! Après toutes ces années, finalement, son oscar! En effet, à l’âge vénérable de 87 ans et après une carrière s’étendant sur près de 65 ans, le grand Ennio Morricone, figure emblématique de la musique de films ayant marqué pour toujours de ses atmosphères musicales les genres du western spaghetti et du giallo, a finalement pu aller cueillir un trophée à sa sixième nomination. Comme quoi le sens des mots «injustice» et «attente» est fortement altéré selon la faculté de tout un chacun à produire de la buée dans une voiture d’époque sur un paquebot en perdition.
Malgré cela, on remerciera quand même l’Académie qui, dans un grand acte de charité, a finalement décerné «son» oscar à Leonardo DiCaprio pour avoir eu le courage inouï de manger la viande de bison crue. Acte de charité surtout pour ces hordes de fans sidérés devant tant d’années de négligence qui, apaisés de finalement voir « leur » Leo s’inscrire dans la postérité, pourront enfin cesser de faire semblant de s’intéresser au 7e art. D’ailleurs, les grandes gagnantes de cette soirée se révéleront au final sans doute être les personnes muettes et cul-de-jatte, qui seront rassurées de voir que pour gagner un prix d’interprétation, il suffit visiblement de grommeler en se traînant par terre pendant quelques 156 interminables minutes. On salue également le discours empreint d’émotion du très assimilé Alejandro González Iñárritu, le plus américain des mexicains, qui nous confiait rêver d’un monde où la couleur de peau n’importerait plus. Soyons assurés que les milliers de femmes immigrées faisant des ménages à 5$ de l’heure dans les banlieues cossues de Los Angeles sont soulagées de voir que le nouveau super-auteur par excellence d’Hollywood a une petite pensée pour elles entre deux méga-productions à 135 millions.
Mais qui a dit que toutes ces stars vivaient sur une autre planète? Ce n’est quand même pas parce qu’on se gave de petits fours entre la signature de deux contrats à sept zéros que les problèmes de la plèbe, on ne connaît pas. D’ailleurs, ne leur vendent-ils pas du rêve à longueur d’année, à la plèbe? Règle numéro un de tout bon commerçant, bien savoir cerner son client. Et si un stunt chanté pour dénoncer la culture du viol ou un discours passionné en faveur de la lutte aux changements climatiques ne suffit pas pour convaincre les gens d’acheter le produit, on pourra toujours pousser le bon goût jusqu’à terminer la soirée à se trémousser au son de Fight The Power.
— La 88e Cérémonie des Oscars du cinéma (88th Academy Awards) était présentée au Théâtre Dolby, anciennement théâtre Kodak avant la faillite de Kodak en 2012, ce dimanche 28 février 2016 à Los Angeles.
Article par Frédérik Pesenti – Grande gueule prolifique aux études l’étant un peu moins, critique qui dégaine la cote 0 plus vite que son ombre, on peut le lire sur fauxraccord.net.