Formé d’étudiants et d’étudiantes, le collectif Passerelle 840 soutient les créateurs et créatrices de l’UQAM et en leur offrant la plateforme d’un festival. L’édition hiver 2019, qui est en cours, propose trois programmations différentes sur autant de fins de semaine. Retour sur deux des cinq pièces présentées du 15 au 17 mars dernier : Δelta et Effervescence.
Depuis vingt ans, le collectif Passerelle 840 propulse les chorégraphes et interprètes de l’UQAM au-devant de la scène pour la durée complète d’un festival. Si l’événement ne bénéficie pas de la visibilité qu’il pourrait avoir sur le campus central, il fait pourtant salle comble et la distance de ses quartiers généraux – situés au département de danse, rue Cherrier – ne semble pas porter atteinte à sa vivacité. Passerelle 840 présente les pièces des étudiants et étudiantes, soient-elles courtes ou de plus grande ampleur, dans le cadre d’un festival qui prend place chaque automne et chaque hiver. L’édition 2019 bat son plein depuis le 8 mars dernier, proposant chaque fin de semaine une nouvelle programmation. Du vendredi 15 jusqu’au dimanche 17 mars, cinq pièces s’y sont produites: Δelta, Effervescence, Virus, Antre et Psukhê. L’Artichaut propose aujourd’hui un retour sur les deux premières propositions, fortes et originales, illustrant la diversité de la programmation.
En hommage à la chorégraphe belge Anne Teresa de Keersmaeker, la pièce Δelta, du collectif ELLES (Marianne Beaulieu, Camïlle Demers-Paquin, Joanie Deschatelets, Olivia Khoury, Marie-Christine Paré, Chloé Saintesprit et Manon Terres) met en scène quatre danseuses dans une scénographie audacieuse qui rappelle l’acception géographique du titre. Un delta se forme sur la scène, par la disposition des spectateurs et spectatrices qui prennent place sur des chaises réparties en quelques îlots. Déjà, le triangle approximatif ainsi formé rappelle le travail de de Keersmaeker et les principes à la base de ses créations –Rain (2001), notamment–, où le mouvement suit parfois des tracés géométriques précis. Dans Δelta, des courants se forment où les interprètes peuvent circuler dans le public divisé en petits groupes. Tous et toutes n’ont alors pas la même orientation, certaines parties du public faisant face à l’avant de la salle, d’autres à son fond. Toutefois, sept miroirs placés aux abords de la scène renvoient les reflets des interprètes au public qui, autrement, les perdrait de vue. Qu’elles soient à l’intérieur ou hors de son champ de vision, les artistes restent visibles. Quelque part, un miroir attrape leur image.
Tant dans le partage des zones spatiales que par les perspectives visuelles, les arrangements scénographiques reproduisent la rencontre des branches d’un fleuve qui se jette dans la mer. Dans cet espace restreint, les interprètes répètent des séquences de mouvements qui font signe, encore une fois, à l’œuvre de Anne Teresa de Keersmaeker. Les séquences répétées à l’unisson ou en canon constituent un motif de la pièce Rosas danst Rosas (1983) que les artistes de Δelta évoquent dans la présentation de leur propre travail. Prolongeant la référence à la chorégraphe, les interprètes de Δelta se déplacent à la marche, rapide ou lente, puis reprennent, sur place, des séquences qui n’engagent que le haut du corps. Si la scénographie défie habilement la convention qui assigne le public à l’avant de la salle, l’espace restreint qui en résulte semble toutefois empêcher la chorégraphie de se déployer pleinement. La proposition reste pourtant prometteuse et les interprètes, par l’aisance qu’elles dégagent, donnent à penser qu’il serait intéressant de voir une exploration plus approfondie. Un mouvement plus libre, moins contraint par les corps des spectateurs et spectatrices groupé.e.s, aurait le potentiel d’illustrer les forces déchaînées qui se rencontrent dans un delta. Il y a lieu de croire que le dispositif, déjà audacieux et original, pourrait mieux servir la chorégraphie.
Après un rapide remaniement de la salle, la chorégraphe et interprète Stéphanie Leclair performe en solo Effervescence. Dès les premiers instants, la danseuse se déplace au sol, lentement d’abord. Elle tourne sur elle-même, en un circuit suivant les bordures de la scène qui prend la forme, pour cette pièce, d’un cercle dégagé au centre du public. Les mêmes mouvements sont répétés, le même trajet est parcouru et re-parcouru, chaque nouvelle révolution marquant l’accélération du rythme. Le mouvement se fait difficile: l’interprète montre, à sa manière de bouger, les forces qui s’opposent au corps, qu’il doit surpasser. À cet égard, le mouvement difficultueux est pleinement assumé et donne toute la force à cette création qui ne mise pas sur l’amplitude ou sur la diversité du mouvement pour faire effet. Il s’agit plutôt d’explorer le mouvement qui emporte le corps et le fatigue. Effervescence fait penser à une bobine qui défile en tournant sur son axe, avec lenteur puis empressement, dont le cours reste imperturbable.
Sur la scène dénudée, la chorégraphe et interprète apparaît vêtue des vêtements de sport les plus communs, qui ne sont soulignés d’aucune manière par la chorégraphie. Ils semblent avoir été choisis pour leur souplesse et pour l’anonymat qu’ils signifient. De même, la musique électronique qui accompagne la pièce, bien que toujours présente, tend à s’effacer sous l’effet répétitif du mouvement. Puisque la création ne met pas l’accent sur les costumes, ni sur les décors ou l’ambiance sonore, seules cette répétition et cette continuité sont soulignées par les projecteurs. C’est d’ailleurs cette simplicité et l’engagement complet de l’interprète qui en font la réussite. De cette pièce, seule la chorégraphie marque et reste. Les autres composantes servent le mouvement et l’interprétation. Effervescence consiste, somme toute, en une exploration qui réduit la performance à l’essentiel.
Présentées en début de soirée, Δelta et Effervescence lancent une programmation exploratoire animée par une liberté de création. Pourtant, hors de la démarche artistique, c’est aussi par sa proximité avec le public que le festival Passerelle 840 se démarque. Entre la présentation des pièces et les adresses aux spectateurs et spectatrices –leur demandant de se déplacer ou de laisser plus d’espace aux interprètes– le collectif accueille le public avec hospitalité. Une rare convivialité anime le déroulement des soirées, où, avant même d’entrer en salle, une membre du collectif présente le projet et le mandat de Passerelle 840 au public réuni. La relation est franche et sans détour, témoignant sans doute des vingt ans de travail, de diffusion et de découvertes que célèbre cette année le collectif, dont la place est faite à la fois à l’UQAM et dans le monde de la danse.
L’édition hiver 2019 du festival Passerelle 840 se déroule du 8 au 24 mars 2019. Toutes les représentations ont lieu au département de danse de l’UQAM, au 840 rue Cherrier.
Article par Élisabeth Chevalier.