Avec Les Dévoilements simples (strip-tease), présenté du 10 au 14 février à La Chapelle, Félix-Antoine Boutin traite la nudité en scène de manière singulière. Composé d’une succession de très courtes scènes ne dépassant pas plus de 3 minutes chacune, le spectacle met en scène pas moins de 32 strip-teases dans lesquels le corps se dévoile sans jamais s’exhiber.
Pourtant, rien n’est caché au spectateur. La scénographie de Joël Desmarais divise l’espace en deux. L’espace prescrit pour les strip-teases, l’espace de la représentation, est délimité par un tapis-gazon, sur lequel ont été déposés quelques arbustes, et est éclairé par des abat-jours accrochés au plafond. À l’arrière de ce premier espace, un grand mur transparent se dresse, donnant accès «aux coulisses». Le spectateur voit ainsi les acteurs se préparer en vue de leurs prochains numéros, mais surtout, il les voit observer les performances de ceux qui se livrent à l’effeuillage. Puisque les tableaux n’impliquent la plupart du temps qu’une minorité du groupe, c’est une majorité d’entre eux qui observe également les performances. Cette masse devient une sorte de double du public. Une communauté se forme ou, du moins, un lien se dessine entre les deux groupes à qui une part d’intimité est révélée, car ces strip-teases sont aussi des partages d’une gêne, d’une tendresse amoureuse, d’une peur et plus encore.
Puisque ce groupe est constitué de jeunes hommes et femmes, il est difficile de les distinguer les uns des autres. Or, leur uniformité est en conjonction avec la dramaturgie même du spectacle. Les 32 strip-teases sont associés aux Variations Golberg de Jean-Sébastien Bach qui les accompagnent tout au long du spectacle. Cette musique au rythme rapide à première écoute répétitive se transforme toutefois sans que nous en prenions totalement conscience, en une musique plus lente et poétique. Le même glissement s’opère dans la succession des tableaux. D’un dévoilement à l’autre, dans cette impression de pareil au même, insidieusement, nous passons d’une atmosphère bucolique, naïve même, à un univers plus onirique. La scène marquant ce passage est celle où une femme d’un certain âge à longue chevelure, détonnant donc parmi les jeunes acteurs, s’extrait d’un costume d’ours pour s’emparer de sa proie, un jeune homme nu. Cette scène à la fois étrange et sensuelle contraste avec les autres strip-teases auxquels nous avons assisté durant la soirée. Une véritable fragilité chez cette femme est exposée devant la multitude des corps jeunes qui l’entourent.
Quant à la nudité du spectacle, elle n’est jamais sexualisée. Les acteurs se découvrent avec humour et délicatesse. Par exemple, il y a cette scène où ils se révèlent leurs cicatrices, leurs grains de beauté, etc., attirant notre regard sur les détails que nous pouvons normalement que remarquer dans une certaine promiscuité. À vrai dire, la nudité dans le spectacle est toujours déviée d’une exposition crue du corps. Les acteurs se déshabillant et se rhabillant sans cesse témoignent de cette volonté de mettre en lumière l’humanité du geste menant à la mise à nu, plutôt que les images qui en résultent. Bien souvent, la lumière s’éteint et le tableau se termine à l’instant où le corps est révélé.
Afin de préserver la candeur, chaque soir, Boutin redistribue les rôles entre la quinzaine d’acteurs. Hors de sa zone de confort, il se situe davantage dans une vérité du moment plutôt que dans une interprétation. Le spectacle garde ses allures bancales et décousues, soulignant la délicatesse qu’implique le dévoilement. Nous ne nous retrouvons pas devant le déroulement d’une fiction quelconque, mais plutôt devant une recherche d’une intimité partagée, d’une quête de sensibilité commune entre les spectateurs et les acteurs.
Il faut dire que ce spectacle s’inscrit dans l’objectif de la compagnie Création dans la chambre de Félix-Antoine Boutin qui consiste à «trouver de nouveaux angles qui s’éloignent du personnel pour rejoindre quelque chose de plus large qui touche nos systèmes de valeur, notre cruauté collective, notre beauté complexe, nos poésies intérieures, notre détachement simple par rapport aux choses.» Une volonté d’arrimer le privé et le collectif motive ces mises à nu. Boutin cherche à trouver, voire à fonder, des territoires de la nudité. La frontalité assumée du spectacle veut mettre en place une rencontre entre le public et les acteurs, pour que nous nous regardions réellement, tels que nous sommes.
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Les Dévoilements simples (strip-tease), une mise en scène de Félix-Antoine Boutin, présenté au Théâtre La Chapelle du 10 au 14 février.
Article par Émilie Lessard-Malette.