C’est une soirée late night que proposait la 33e édition du Festival International du Film sur l’Art (FIFA), un programme double offert par la Société des arts technologiques à Montréal (SAT) et partagé entre la présentation du documentaire Entre ciel et terre quand le hip-hop devient art et la tenue d’un battle de b-boying. Cette collaboration entre le FIFA et la SAT contribue au rayonnement de la culture urbaine actuelle, de pratiques artistiques jugées autrefois émergentes mais aujourd’hui présentées sur les plus grandes scènes culturelles internationales.
À l’arrivée du public, le rez-de-chaussée de la SAT est déjà préparé pour le déroulement du deuxième évènement: de grandes lignes de tape blanc tracent un carré au sol au sein duquel doit se dérouler les combats. Dans une salle avoisinante est projeté le documentaire sur trois écrans géants.
Le documentaire du réalisateur français Eric Ellena porte sur la création du phénomène culturel national qu’est devenu la danse hip-hop en France. Comme le soutiennent d’emblée les premiers propos dans le film, la danse contemporaine se serait essoufflée durant les années 1980-1990 et c’est en cherchant de nouvelles sources d’inspiration qu’elle se serait intéressée aux danses urbaines. Le waacking, le break dance, le krump, le popping ou le jerkin’ sont tous des styles ou des dérivés de danse hip-hop. Parfois plus expressif, parfois plus précis, plus rapide, plus acrobatique, au sol ou en l’air, le hip-hop est à l’origine une danse de rue, réalisée avec peu de moyens, bien souvent apprise de manière autodidacte, et mettant d’abord l’accent sur une très grande habileté technique. Par ses ancrages artistiques plus populaires, elle a parfois tendance à s’éloigner et à se distinguer de la culture dite élitiste.
Guidé par la voix très officielle d’une narratrice, le documentaire suit le parcours de quatre groupes de hip-hop implantés à différentes échelles sur la scène culturelle française. Tout au long du film, la narratrice affirme la primeur qu’a la France et son avant-gardisme pour cette forme d’art, ce qui semble plutôt surprenant, étant donné les forts ancrages nord-américains des cultures urbaines très influencées par la culture afro-américaine. Malheureusement, cette prétention nationale, répétée à de nombreuses occasions durant le documentaire, finit par s’avérer un peu lassante.
Il est vrai, toutefois, qu’à la fin des années 1990 et dans les années 2000, plusieurs compagnies françaises de hip-hop ont cherché à intégrer de nouvelles esthétiques à leur pratique. Leurs spectacles ont donc multiplié les fusions de style entre la capoeira, la danse africaine, le butô, les arts martiaux, etc. L’interdisciplinarité étant au cœur de l’art contemporain, la danse s’en est nourrie à son tour. Le métissage et la polyvalence ont dès lors inspiré les chorégraphes comme Mourad Merzouki, qui emprunte une gestuelle à la boxe ou encore intègre les nouvelles technologies à ses scénographies. Mohamed Belarbi, chorégraphe du groupe Vagabonds Crew, plusieurs fois champion des UK Bboy World Series, a quant à lui été l’un des premiers à utiliser de la musique classique dans son travail.
Les différents chorégraphes décrivent le processus d’institutionnalisation et de légitimation de ce style de danse dans le champ de l’art contemporain français. Ils expliquent en partie leurs succès par un travail acharné de la part des performeurs, mais aussi par une demande des spectateurs de produits artistiques «à mi-chemin entre la prouesse et le cérébral». Les interprètes proviennent ainsi d’horizons extrêmement variés, apportant avec eux leur bagage culturel unique, leurs références artistiques et leurs propositions et habiletés physiques et techniques. Considérant cette diversité, les chorégraphes encouragent l’originalité et l’expressivité dans l’interprétation, un élément souvent négligé dans des formes de présentation plus traditionnelles du hip-hop que sont les battles. On notera d’ailleurs que la presque totalité des performeurs poursuivant une carrière dite plus «artistique», affirment continuer à participer fidèlement aux battles. Pour ces danseurs, c’est l’occasion de mettre l’accent sur la virtuosité, l’intensité, l’improvisation, la singularité, et c’est aussi une manière de se tenir au courant de l’évolution technique des pratiques.
Le regard et les approches des chorégraphes changent au fil du temps et témoignent de leur passage d’un style traditionnellement très libre et tout en prouesses vers des formes plus subtiles, poétiques et sensibles. Pour les interprètes, la performance et l’entrainement semblent aussi très différents par une finalité de représentation frontale, une attention particulière aux détails et une exigence à la polyvalence. Ils insistent tout de même pour conserver cette culture particulière du hip-hop qui les unit.
Au Canada, quelques compagnies de danse contemporaine et de danses urbaines commencent à se faire connaitre comme Rubberband dance, Crystal Pite ou Solid State. De plus en plus de projets ponctuels vont puiser dans le style hip-hop comme le dernier spectacle de Dany Desjardins, par exemple, ou le chorégraphe New Yorkais Trajal Harrell et sa ré-interprétation du waacking dans son dernier spectacle Antigone Sr.
Cette soirée du FIFA s’est conclue par une belle performance d’H2O Let Your Art Flow, un organisme à but non lucratif qui organise des battles de hip-hop à Montréal, et du collectif Forêt Noire, illustrant en gestes, mouvements et applaudissements le propos du documentaire. De jeunes danseurs se sont d’abord affrontés sur les rythmes entrainants de DJ Victorious pendant que le public se voyait encourager à voter pour son duo favori. Ddimplz, l’animateur de la soirée, a finalement introduit un de ses duos québécois préférés de waacking, Forêt Noire, qui a ensuite exécuté un court numéro. Le waacking contemporain, cette danse axée sur les impulsions d’épaules et de flexions des bras qui peut parfois sembler hermétique et difficile à apprécier au premier abord.
Néanmoins, ces deux performances ont réellement démontré la possibilité pour la danse contemporaine de puiser dans cet immense bassin de pratiques originales et impressionnantes, qui se renouvèlent sans cesse grâce à la grande pluralité, diversité et liberté associées à ce style.
——
Le Festival International du Film sur l’Art présentait le documentaire Entre ciel et terre quand le hip-hop devient art à la Société des arts technologiques suivi d’une performance de H2O Let Your Art Flow et du collectif Forêt Noire le 26 mars 2015 à 21h.