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19-05-2025 Vol 19

Quitter son pays. Bibish de Kinshasa de Philippe Ducros à l’Espace Libre

À la suite de mon entrevue avec Philippe Ducros, j’étais déjà très enthousiaste à l’idée d’assister à Bibish de Kinshasa, un spectacle dans lequel on suit une femme durant son vol entre la République Démocratique du Congo (RDC) et l’Europe, et où elle nous fait revivre ses souvenirs de son pays d’origine. Le spectacle s’annonçait très festif: consommation, bouffe, musique et atmosphère congolaise, en plus de discussions politiques.

Crédit photographique: David Ospina
Crédit photographique: David Ospina

La scénographie de Julie Vallée-Léger rappelle un peu celle des autres spectacles de Ducros. Épurée, elle est constituée de trois zones: jardin, un bar, où Papy Maurice Mbwiti nous sert à boire durant la représentation; le centre, où évolue Gisèle Kayembe, constitué de quatre chaises de patio et d’une surface de projection (y sont projetées des définitions de mots avant le commencement de la pièce); et côté cour, l’espace cuisine, où Ducros et Bibish préparent un repas de morue salée. Les éclairages de Thomas Godefroid sont un peu sombres pendant les passages de Kayembe, ce qui nous empêche parfois de bien la voir. Ils permettent en contrepartie de mieux définir les trois espaces.

Le spectacle oscille entre le texte du roman Samantha à Kinshasa, de Marie-Louise Bibish Mumbu, conté par la magnifique et éclatante Gisèle Kayembe, et les interventions plus politiques de Marie-Louise Bibish Mumbu, de Philippe Ducros et de Papy Maurice Mbwiti. Les moments où Kayembe s’anime sont tout à fait exquis. La comédienne nous transporte aisément avec elle en RDC et nous fait pratiquement oublier que nous sommes à l’Espace Libre en plein mois d’octobre. Avec elle, qui boit du vin pour célébrer son voyage vers sa nouvelle vie, nous découvrons le quotidien des travailleuses et des marchands de rue, des enfants, mais surtout la joie de vivre de ce peuple.

Le lien entre les passages du roman et le retour à la réalité se fait plutôt bien, quoiqu’il soit à l’occasion difficile d’accepter de quitter l’effervescence du jeu de Kayembe. D’ailleurs, les moments réservés à Bibish et Philippe sont très intéressants, mais ils manquent légèrement de structure. L’information nous parvient, mais par moments trop brefs. D’autant plus que, à moins d’avoir fait au préalable un minimum de recherches sur le sujet, certains détails nous restent inconnus et nous empêchent de bien comprendre la situation de la RDC. Enfin, à un certain moment de la pièce, Philippe s’assoit au bar afin de discuter avec Papy Maurice Mbwiti, qu’on sent très ouvert à nous raconter son histoire, mais l’échange se termine rapidement. C’est malheureusement tout le temps qui lui sera accordé.

La fin détonne avec l’atmosphère du spectacle. Bibish, seule au micro, nous raconte un peu plus son expérience. On sent à ce moment qu’elle n’est pas tout à fait à l’aise, ce qui brise le rythme établi par la performance de Kayembe, qui est sortie par la porte extérieure pour céder sa place. Est-ce la posture, d’être debout devant un micro, qui gène? Peut-être, puisqu’on sentait Bibish très décontractée depuis le début de la représentation, lors des échanges avec Ducros. Son témoignage est toutefois très touchant et nous permet de nous glisser encore plus intimement dans son histoire.

Malgré ces petits détails, le texte de Marie-Louise Bibish Mumbu demeure d’une beauté imagée qui nous transporte à chaque tournure de phrase. Le spectacle est indispensable pour quiconque veut comprendre l’importance du rôle du Canada dans le conflit qui se déroule en RDC. Comme l’explique Philippe, nous sommes intrinsèquement liés, par nos téléphones cellulaires par exemple, qui contiennent du coltan (un minerai extrait en grande quantité en RDC), avec les compagnies minières qui exploitent le pays. La population québécoise au grand complet se devrait de voir ce spectacle afin d’être plus au fait de la situation en RDC, mais surtout, pour comprendre que les migrants ont un bagage beaucoup plus lourd qu’on ne pourrait le croire. Bibish de Kinshasa nous fait voyager dans un pays où les gens vivent une journée à la fois, parce que leur présent leur appartient plus que tout.

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Bibish de Kinshasa était présenté du 13 au 24 octobre 2015 à l’Espace Libre. Cliquez ici pour lire l’entrevue d’Anne-Marie Spénard avec Philipppe Ducros au sujet du même spectacle.

Article par Anne-Marie Spénard – Issue du baccalauréat en Études théâtrales à l’École supérieure de théâtre, Anne-Marie est aussi passée par les Women’s Studies à Concordia . Elle entretient une légère obsession pour la question des genres, la musique et la mer.

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