Granby au passé simple est le deuxième roman d’Akim Gagnon dans lequel ce dernier raconte de façon autofictionnelle sa jeunesse à Granby. Le roman, formé de 27 scènes narrées par Akim, permet de découvrir et de s’attacher au clan des Gagnon. Son père représente le soleil autour duquel gravitent Akim, son frère Carl-Camille, sa mère et plusieurs autres personnages secondaires et passagers qui arrivent tout de même à laisser de fortes impressions aux lecteur·rice·s. De son écriture franche et claire, Akim parvient à expliquer et à mettre en mots la relation compliquée qu’il a entretenue avec son père, affectueusement surnommé «Pop». Akim met la table dans un long prologue où il décrit le caractère changeant de son père, en rentrant dans les détails les plus minimes, mais non anodins, de ses interactions avec lui. Il raconte, au présent, leur bel amour père-fils, mais aussi l’étrangeté et la diversité de la relation parent-enfant, qui peut même aller, dans son cas, jusqu’à la parentification. Déjà à ce stade du livre, on peut comprendre qu’Akim entretient un lien étrange avec le passé et que ses souvenirs d’enfance ne sont jamais bien loin. Son père prend le rôle du personnage principal, et Akim le compare, l’analyse, le décortique et le présente au public de façon attachante et authentique. Il raconte les bons et les moins bons côtés de son père, avec humour et délicatesse.
Dès les premières pages, Akim se demande si Pop est toujours l’homme parfois négligent et colérique de son enfance ou si ce dernier a changé avec les années. Le regard d’adulte d’Akim sur la situation lui sera bien utile, car dans un scénario à la Freaky Friday, Akim se retrouve propulsé dans ses souvenirs de jeunesse, à la suite d’une visite mouvementée de son père à Montréal. Le retour dans le passé commence avec la naissance d’Akim et le divorce de ses parents, qu’on pourrait voir comme les éléments déclencheurs du récit. Il relate son enfance passée en maison mobile, dans cet espace exigu où l’amour inconditionnel et exponentiel de son père aurait facilement pu faire exploser les murs fragiles. Dès les premiers moments de sa vie, Akim se souvient avoir senti la solitude de son père, qui n’avait ni conjointe ni ami·e. Cet accès illimité à Pop et leur proximité passeront toutefois de privilèges à une prison. Il raconte l’expérience singulière que représente grandir dans une famille divorcée et défavorisée, à l’aube de la modernité des années 90. Entre un Pop dépressif et un Akim angoissé qui se réfugie dans la nourriture pour compenser, la marde commence à pogner (pardonnez-moi l’expression et la rime douteuse). Des facettes sombres de Pop surgissent lorsqu’il perd son emploi. Le jeune Gagnon se réfugie alors dans ses scénarios comiques et imaginaires – qui le suivront dans une bonne partie du roman – afin de dédramatiser les situations réelles dans lesquelles il se retrouve.
Dans un environnement où tout tombe en miettes, les arts et la chambre d’Akim deviennent à la fois des safes spaces et des lieux d’évasion pour lui. À l’adolescence, Akim relate sa difficulté à créer sa propre histoire et à faire son passage vers le monde adulte, loin de Pop et de ses attentes hautes comme des montagnes. Lors de cette période de sa vie, Akim se souvient du ressentiment de son père, drivé par un fort sentiment d’abandon, exprimé par des crises de colère abusives, de la honte et des insultes suivies de longues excuses. Un sentiment qu’il essayera tant bien que mal de combler en commençant à dater des candidates toutes plus surprenantes et inattendues les unes que les autres. La dating life de Pop est vue de l’extérieur comme étant à la fois chaotique et comique, mais surtout comme un choix qui change la dynamique père-fils pour le pire. Les déboires amoureux de Pop amènent plusieurs péripéties qui transforment la figure paternelle en une version encore moins responsable et davantage négligente d’elle-même. Au fil des années, plusieurs autres épreuves viendront tester la relation entre Akim et son père. Ce roman touchant et profondément libérateur vient titiller la corde sensible du père qui existe en chacun·e de nous. Il est bon de se rappeler qu’il n’y a pas de parents parfaits, pas de manuel d’instruction, et que nos parents ont aussi été des enfants blessés, une fois ou à répétition.
J’ai eu la chance de poser quelques questions à Akim Gagnon (le vrai), qui a gentiment accepté de me parler plus en profondeur de son roman, de ses inspirations et du milieu du livre en général.
J’aime l’idée selon laquelle en parlant de quelque chose de très spécifique et personnel à soi on peut rejoindre le plus de gens possible. Comme si l’individuel parlait au collectif plus facilement. Dans cette optique-là, je me demandais qui vous espériez rejoindre avec votre livre. Aviez-vous un public cible en tête, était-ce un groupe très large ou, au contraire, un petit public très précis, niché ?
En tant qu’auteur, tu espères rejoindre un petit ou un grand lectorat qui lit le livre pour les bonnes raisons. En fait, ce qui est le fun, c’est que, comme jeune auteur relativement pas connu, je ne m’expose pas à de grands dangers, il n’y a que les gens qui veulent me lire qui me lisent. Donc, en partant, tu passes un peu sous le radar des gens qui vont te lire, mais qui n’auraient pas dû te lire. En fait, j’espérais juste rejoindre n’importe qui qui va connecter à ça, au thème du père. […] Et c’est vrai que, pour être universel, tu dois parler de choses très concrètes. Comme disait Robert Lepage en entrevue, «pour être universel, parle de ce qui se passe dans ta cuisine». […] Je voulais que Pop devienne le père de tout le monde, c’est pour ça qu’il n’est pas nommé par son prénom jusqu’à la fin. Je ne suis pas surpris que ça parle à beaucoup de gens parce qu’on a tous quelque chose de coincé avec nos parents, et j’ai essayé d’en parler le plus gentiment et le plus honnêtement possible.
Avez-vous ressenti un effet thérapeutique avec l’écriture de votre roman?
Ben complètement. Et c’était le but aussi, c’est pas du tout caché. Je pense que même juste de la façon dont le jeune Akim raconte l’histoire, on sent que c’est un adulte ayant eu beaucoup de temps de réflexion qui se cache derrière ça. Le livre est clairement une grande thérapie/tentative de guérison. Le but, ce n’était pas d’écrire ça en souhaitant que le bonhomme [son père] le lise et que tout se règle. Le but, c’est juste de sortir une histoire, de s’affranchir de ces sentiments-là, de les mettre dans le livre et de les laisser faire un bout de chemin. Naturellement, il y a des trucs qui se règlent. Quand tu réussis à closer des chapitres à l’écrit, tu closes ta propre histoire à toi aussi. […] L’aspect le plus thérapeutique, c’est l’humour. J’aurais beaucoup de peine si un·e lecteur·rice avait l’impression que le livre est un règlement de comptes. C’est plutôt une grosse câlice de lettre d’amour bien assumée à mon père.
Pourriez-vous me décrire la relation Pop-Akim en trois mots?
Tendre-trash-tordante.
Pour ou contre mettre du ketchup sur la poutine du Ben?
Chez Ben, contre, parce que la sauce est déjà sucrée. Une p’tite extra-fromage, bouche-trou. Merci bonsoir!
Merci, Akim, pour ton roman.
***
Gagnon, Akim, Granby au passé simple, Montréal, La Mèche, 2023, 416 p.
Article rédigé par Mérédithe Naud
NB. Certains passages de l’entretien ont été édités et condensés.