Poursuivant une exploration du milieu musical commencée avec Barbara, le prolifique cinéaste (et acteur) Mathieu Amalric présentait cette année au FIFA deux portraits de musicien, Zorn et Music is music. Deux documentaires aux approches différentes mais complémentaires offrant un portrait plus grand que nature de deux artistes complètement dévoués à leur art, tout en faisant un exercice d’auto-réflexion sur la pratique artistique de leur créateur.
La première offrande, Zorn fut d’abord une commande d’une chaîne européenne pour un portrait télévisuel de John Zorn, célèbre compositeur jazz new yorkais (Naked City, Masada) et ami d’Amalric. Détournant la commande, celui-ci s’éloigne de l’informatif pour plutôt faire un portrait dans l’action du prolifique compositeur (qui, pour la petite histoire, a sorti pas moins de cinq disques sous son nom l’année dernière). Plutôt que d’offrir commentaires, informations ou entrevues sur le travail de son ami, Amalric opte plutôt pour une forme de cinéma-vérité; sa caméra attentive suivant les nombreuses expéditions et explorations artistiques de John Zorn. Du studio d’enregistrement à la scène en passant par les locaux de répétitions et les salles de concert underground, on voit le musicien et compositeur à l’œuvre, aussi à l’aise dans la pratique de sa musique (au saxophone) que dans la direction des musiciens sous sa gouverne. Rappelons en effet que Zorn, s’il est un musicien accompli, opte souvent pour le rôle de compositeur et chef d’orchestre, laissant à ses musiciens la tâche d’interpréter ses compositions.
De là, le parallèle à établir entre son travail et celui de Mathieu Amalric est des plus évidents: deux acteurs/musiciens prolifiques revêtant l’habit du réalisateur/chef d’orchestre, orientant le travail d’autres acteurs/musiciens pour répondre à leur vision singulière. À bien des égards, le cinéaste français filme son double musical, envers qui il ressent une connexion manifeste. Zorn se prête à l’exercice cinématographique avec candeur, laissant la caméra intimiste de son ami filmer toutes les facettes de son métier. Un moment facétieux verra même Mathieu Amalric embrigadé dans la dernière composition de son ami, le temps d’enregistrer quelques pistes de voix.
Ce court document (50 minutes, sans doute pour répondre aux exigences télévisuelles – le film aurait aussi bien pu être plus long ou plus court) se conclue (sans générique!) par l’indication « À suivre », faisant de l’œuvre un work in progress destiné à évoluer au gré de la relation des deux comparses et de leur rythme de travail effréné (entre ses nombreux court-métrage, son plus récent long-métrage sur Barbara et ses engagements d’acteurs, Mathieu Amalric n’a effectivement pas chômé au cours des dernières années). L’œuvre reste encore – et sans doute volontairement – assez simple : centrée quasi-uniquement sur la vie professionnelle de John Zorn, elle risque de décevoir les fans espérant en apprendre plus sur le compositeur. De même, les néophytes de l’univers de Zorn seront peut-être déçus du parti-pris esthétique d’Amalric qui laisse parler la musique (couvrant aussi bien les compositions jazz de Zorn que ses projets de grindcore en passant par des œuvres plus expérimentales) et les images d’avantage que les mots. Quoi qu’il en soit, Zorn demeure un examen intéressant des liens entre le métier de chef d’orchestre et de réalisateur et une incursion souvent captivante dans le monde d’un des plus grands compositeurs contemporain.

Zorn – Mathieu Amalric (Crédit Photo : FIFA)
Face au minimalisme formel affiché de Zorn, Music is Music est une proposition beaucoup plus complexe, mais traitant de sujets et thématiques similaires. S’intéressant cette fois à la Soprano canadienne Barbara Hannigan (elle apparaît aussi dans un autre court-métrage d’Amalric, C’est presque au bout du monde), le court-métrage de 21 minutes suit l’enregistrement du plus récent album de cette dernière, Crazy Horse, où elle apparaît accompagnée du Ludwig Orchestra.
Suivant une séance d’enregistrement studio où on voit la soprano superviser de près les opérations, le film est guidé par la voix off de Mathieu Amalric, reprenant un texte de Hannigan. Le texte explique les motivations de la soprano à mélanger sur son album trois œuvres (la Sequenza III de Berio, Lulu Suite de Berg et Girl Crazy de Gershwin) assez différentes les unes des autres mais pour lesquelles elle ressent une forte attirance. Le film révèle une musicienne charismatique et d’une grande sensibilité, entretenant un rapport presque symbiotique avec son art et sachant communiquer avec enthousiasme sa vision à ses collègues de travail (qu’elle invite à l’accompagner au chant lors des enregistrements).
À l’instar de Zorn, Mathieu Amalric rapproche son travail de cinéaste de celui de chef d’orchestre (allant jusqu’à substituer sa voix à la sienne dans la narration du film), interrogeant par le fait même son métier d’artiste, la nature de l’interprétation d’une œuvre. Mélangeant le personnel et l’art, Music is music est un film intrigant, ouvert à de multiples interprétations, un amusant jeu de piste auquel le spectateur est invité à prendre part.
Sous les apparences anodines de portraits d’artistes qui, dans les mains d’un autre, n’auraient pu être que de vains exercices de promotion, Amalric propose deux œuvres des plus énigmatiques, parvenant à soulever en peu de mots et d’effets de nombreuses questions sur la pratique des arts. Confirmant une fois de plus son éclectisme, le cinéaste français prouve la force de son cinéma, sa capacité à allier l’exploration ludique à la réflexion cérébrale.

Music is Music – Mathieu Amalric (Source : Youtube)
—
Le Festival International du Film sur l’Art se déroulait du 8 au 18 mars 2018.