Le mois dernier, Danse Danse accueillait pour la troisième fois depuis 2004 la Batsheva Dance Company et leur toute dernière création : Last Work. Accompagnés de son directeur artistique Ohad Naharin, trois représentations, salles combles, avaient lieu à la Place des Arts.
Chorégraphe très influent, Ohad Naharin a transformé le paysage chorégraphique contemporain d’Israël, son pays de naissance, en bousculant les idées préconçues sur la danse. Influencé par sa culture d’origine, mais aussi curieux des danses d’ailleurs, il cherche à explorer les possibilités qu’offre le corps afin de créer des chorégraphies qui traient de la complexité de l’homme. Formé auprès de Martha Graham, la Juilliard School, Maggie Black, David Howard, ou encore Maurice Béjart, Naharin propose aujourd’hui un travail qui consiste à repousser les limites de l’originalité. Par ses spectacles, il renouvèle la scène contemporaine, mais aussi, et surtout, suggère de profondes réflexions à son public.
Pièce à portée dramatique, Last work montre un certain désespoir qu’Ohad Naharin nous livre avec un humour décalé, usant par exemple du théâtre de l’absurde et des formes de corporéités inédites. Tout en restant sombre, la pièce est portée par des interprètes qui offrent une légèreté envoûtante et éclaircissent cette noirceur. Cette performance expose une vision personnelle du monde et de ses problèmes contemporains. En faisant référence aux conflits religieux, sexuels, militaires ou encore philosophiques, le chorégraphe cherche à approfondir sa démarche et nous propose une réflexion sur l’homme et sa lutte constante avec lui-même, autrui ou encore avec le temps qui passe sans qu’on puisse l’arrêter.
Durant une heure quinze, les danseurs évoluent au sein de différents tableaux, dans une ambiance nuancée qui reste empreinte d’une lourdeur de l’âme, de l’homme et du monde. Entre la sobriété du décor et des costumes, et la richesse de la composition chorégraphique, Ohad Naharin ne cesse de surprendre, mettant en valeur ses interprètes majestueux aux talents corporels et expressifs variés. Il construit sa pièce de façon géométrique et joue avec la diversité de chacun des tableaux qui s’enchaînent et ne se ressemblent pas, afin de conserver l’attention du public jusqu’au tout dernier instant.
Cette pièce permet aussi aux néophytes de faire connaissance avec la méthode Gaga, inventée par le chorégraphe lui-même. Il s’agit d’une approche somatique d’écoute de soi afin de sublimer émotions, frustrations, etc. Il s’agit de se laisser guider par les besoins de son corps, avant de vouloir le forger, le forcer à faire quelque chose. Il nous dit quoi faire, et non l’inverse. Par cette approche, Naharin travaille avec chacun de ses interprètes selon leur organicité, leur émotivité et leurs capacités corporelles propres mettant ainsi en scène des êtres vrais avec eux-mêmes et en pleine possession de leur corps.
Irréprochable en composition, Ohad Naharin nous propose une pièce où se mêlent et se démêlent les corps, sur des rythmes variés allant de la simple musique d’ambiance aux prégnants chants israéliens. Le chorégraphe approfondit tant les parties en solo, avec précision et volupté, que les unissons où la puissance et l’harmonie de la compagnie s’en dégagent. Le créateur forge ainsi des tableaux véritablement hétéroclites. Last Work aborde différents univers où costumes et personnages se transforment, s’unissent et se déchirent. C’est l’expressivité même du geste qui intéresse Naharin et qui lui permet de forger de réelles scènes ou danse et théâtre s’embrassent.
La chorégraphie, qui sait susciter la curiosité et l’intérêt de chacun, cherche à transmettre un message de tolérance et à stimuler une réelle prise de conscience chez son public. Porteuse de la méthode Gaga et reflet de notre société actuelle, Last Work séduit par sa diversité et par la surprise omniprésente de la composition.
Danse Danse présentait la Batsheva Dance Company et la pièce Last Work d’Ohad Naharin à la Place des arts, du 19 au 21 janvier 2017.
Article par Léa Villalba.