24 Davids par Céline Baril: quête de rencontres
Le film d’ouverture des Rencontres internationales du documentaire de Montréal dresse un portrait de groupe: 3 continents, 10 pays et 24 individus qui réfléchissent sur le vivre-ensemble. 24 Davids est un essai cinématographique qui tient du road-movie par son format, mais aussi par sa crise existentielle adolescente, celle qui se pose toutes les questions et prend conscience que l’âge adulte ne garantit aucune réponse.
Céline Baril est une réalisatrice québécoise dont la carrière s’étend déjà sur presque 30 ans. D’abord issue du monde de la fiction avec, entre autres, la réalisation de L’absent (Les Films de l’Autre, 1992) et Du pic au cœur (Les Films de l’Autre, 2001), elle a su s’imposer dans le milieu du documentaire par une approche confiante et libérée. Dès son premier documentaire, 538 fois la vie (Office national du film du Canada [ONF], 2005), elle a façonné un style de réalisation qui laisse à penser que ses images sont glanées au hasard pour former une poésie toute naturelle. 24 Davids ne fait pas figure d’exception. Dans le cadre d’une résidence d’artiste à l’ONF, elle parcourt le monde en quête de rencontres. Elle se donne une contrainte, question de préciser la démarche: tous ses protagonistes se nommeront David.
Mis à part le prénom qu’ils ont en commun, les personnages sont de toutes les trempes: activistes, philosophes, scientifiques, écologistes, artistes, marins de ville, cyclistes nostalgiques, aspirants joueurs de billes. Chacun a trouvé sa manière de vivre, son étincelle, et chacun oscille entre espoir et désillusionnement. Selon la réalisatrice, deux choix se sont rapidement imposés: la présence de chercheurs scientifiques ainsi que le lieu final de cette chasse aux rencontres. Le dernier David est donc un anonyme de la «jungle de Calais», un réfugié espérant se rendre en Angleterre. La quête continue.
On ne peut s’empêcher de se questionner sur la nature du choix de David, prénom à la fois banal et légendaire. Un vieil homme, assis avec sa fille, échappe entre deux pensées une mention de la victoire de David sur Goliath. Le genre d’allusion saillante qui serait imbuvable en fiction, mais qui reste le privilège tout naturel du documentaire. Baril maintient que le choix du prénom David était surtout une question pratique: un nom assez commun, assez interculturel, et dont les candidats lui «pleuvaient déjà dessus.» Au fond, là n’est pas la question. Le film ne se veut pas un casse-tête, il n’y a pas de propos épineux à démêler pendant le générique. On accumule les témoignages, un à la fois, avec un montage presque toujours chronologique offrant une narration bien confortable. Plus que tout, on cherche à susciter l’émotion. C’est une réussite, mais on se surprend tout de même à vouloir en savoir plus sur le parcours de chacun des personnages. Voilà le risque, et l’intérêt, d’un film-concert.
Ce portrait de groupe n’émet pas de conclusion. C’est un tableau, un rassemblement d’individus à un moment précis. Ici, pas de hiérarchie non plus: toutes les expériences se valent. Mais si le film se targue de ne pas défendre de cause, sa structure à l’échelle humaine propose le contraire. La réalisatrice aurait très bien pu se concentrer sur un enjeu, le décortiquer et en exposer les grands joueurs. Chacun de ses 24 David en auraient fait un sujet amplement riche. Mais son film est ficelé d’existences indépendantes et des enjeux qui les animent. Chaque personnage est en mouvement, cherche à mieux comprendre son univers et à y tailler sa place. Chaque personnage a choisi sa cause, si bien que le film n’a pas eu à le faire. Si ce n’est que cela, le film s’engage pour l’engagement.

End of Life par John Bruce et Pawel Wojtasik: mort et vérité
End of Life s’ouvre sur un homme sur le point de parler. De longues minutes s’écoulent pendant qu’on vacille dans notre attente entre impatience, angoisse et méditation. Il ouvre la bouche, s’apprête à parler, la referme. Il boit de l’eau, se gratte le crâne. Il émet un son, se ravise. C’est un moment de vérité rarissime, une ouverture remarquable pour un film qui traite, plus que tout, de l’attente de la mort: fébrile, calme, naïve, sage, triste, effrayante. Finalement, l’homme parle: «Dans notre culture, nous sommes presque tous effrayés par la mort.»
John Bruce et Pawel Wojtasik collaborent pour la première fois à titre de coréalisateurs sur ce film présenté à la 20e édition des Rencontres internationales du documentaire de Montréal dans la catégorie Panoramas. Ils ont tourné un documentaire sur la fin de la vie. Ce n’est pas un film, donc, sur le début du deuil, sur les souvenirs de joies et les regrets, ou encore sur la communauté qui accompagne la mort. La caméra s’immisce dans un moment si intime qui pousse normalement à détourner le regard, à inviter la nostalgie pour éviter de regarder la mort dans les yeux. L’intention est audacieuse.
Les réalisateurs ont suivi une poignée d’individus en fin de vie. Certains sont cloués à leur lit d’hôpital, d’autres sont filmés chez eux. Il y a aussi cet artiste qui a frôlé la mort et ce guide spirituel dont le regard nous a guettés en ouverture. Il est évident que les réalisateurs ont réussi à bâtir un lien intime avec ces personnages. En effet, ils ont suivi une formation pour s’outiller dans leur accompagnement de ces gens vers la mort, pour ensuite documenter des centaines d’heures d’interactions sur quatre ans de collaboration. Trois personnages sont mourants, mais ceux-ci ne nous parlent pas de la mort. On assiste, par exemple, à la mise en beauté d’une femme atteinte de cancer. Une autre dame, plus âgée, est allongée dans un lit d’hôpital et se demande de qui on parle aux nouvelles.
Cette femme est alitée depuis de longues années déjà, lorsqu’un accident grave l’a complètement paralysée à l’exception de sa tête et de son bras gauche. Cette information, pourtant, n’est jamais relayée au spectateur. Et on aurait voulu le savoir: une scène, par exemple, où on l’aperçoit longuement faire danser son bras, aurait eu beaucoup plus d’impact ainsi.
On refuse aux spectateurs tout semblant de temporalité, encore moins de narration. Les conventions cinématographiques sont défiées, tout comme les conventions sociales: attendre la mort n’est pas poli. On refuse plus que tout le luxe de se faire bercer par la chanson humaine, de suivre un rythme prévisible, d’être émus aux larmes devant la résilience d’individus ordinaires. End of Life n’est pas un feel-good movie. Le film sert plutôt de témoin de ce qui a été dit comme de ce qui n’a pas été dit, à ce moment de la vie où tout est à la fois banal et extraordinaire.
Les réalisateurs ont dit avoir voulu tourner le dos au monde extérieur. Pour leurs personnages, ce monde rapetisse de plus en plus, tandis que leur univers intérieur se retrouve en expansion. Le film est un hommage à cette nouvelle croissance. Malheureusement, il est possible que cette propension à minimiser le monde extérieur ait la conséquence d’aliéner le spectateur du même coup. C’est un risque que le film semble accepter sans peine, préférant rester loyal à ses personnages et à leur réalité. Certes, la relation entre les réalisateurs et les personnages semble forte. Dommage que le spectateur reste parfois mis de côté. Malgré quelques égarements lyriques, la force du film reste sans contredit les individus en son centre. On voudrait passer plus de temps en leur présence, avant la fin.

—
Les Rencontres internationales du documentaire avaient lieu du 9 au 19 novembre 2017. Lisez ici le reste de notre couverture.
Article par Brigitte Voisard.