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19-05-2025 Vol 19

Sur la route de la délivrance. elle pis son char, de Loïc Darses

Après avoir écrit une lettre adressée à celui qui a abusé d’elle lorsqu’elle était enfant, Lucie Tremblay décide d’aller la délivrer en mains propres à son agresseur. Munie de sa caméra, elle documente son intense périple. Dix ans plus tard, Loïc Darses découvre les images tournées par sa mère, Lucie Tremblay. Il les travaille et réalise un documentaire saisissant pour son projet de fin d’études en cinéma à l’UQAM: elle pis son char.

Elle_pis_son_char

Le court-métrage documentaire elle pis son char était présenté dans le cadre des rencontres Cinéma Politica au café Aquin de l’UQAM. Un film intime, troublant et d’une sincérité déstabilisante.

C’est l’instinct de survie qui a poussé Lucie Tremblay à se débarrasser de cette honte, ce fardeau énorme qui pesait sur elle depuis son enfance. De 8 à 12 ans, elle a été agressée sexuellement, par le même homme. Il a profité d’elle et, comme bien des femmes et des hommes victimes, elle a longtemps cru que c’était de sa faute. Elle n’a alors rien fait pour se délivrer de la douleur et de ce traumatisme qui la rongeait injustement, jusqu’à ce qu’elle réalise que ce mal n’était pas le sien à subir. Il lui fallait se libérer. Pour en finir avec toute cette culpabilité, Lucie décide d’agir. Elle souhaite transmettre sa souffrance à son agresseur, puisqu’elle juge que c’est lui qui devrait avoir honte, avoir mal. C’est ainsi que, lettre en poche et caméra en main, elle se rend jusque chez lui pour le confronter et tenter d’exorciser le mal qu’elle accumule depuis longtemps. En lui remettant la lettre qu’elle a rédigée, elle se débarrasse enfin de son fardeau.

Réalisation intergénérationnelle

Le spectateur suit Lucie dans des moments profondément personnels. On y découvre les instants de joie partagés avec ses deux fils au quotidien, comme les moments déchirants, ceux-là passés seule dans sa voiture, dans sa chambre d’hôtel et enfin lors de son face à face avec son agresseur. Le produit filmé est brut. Lucie ne met rien en scène et se dévoile à la caméra en parlant ouvertement de tout ce qu’elle ressent. Le message transmis n’en est que plus sincère et spontané. Il n’y a pas d’artifice. Ce n’est qu’elle, son char et les différentes étapes de sa quête de liberté. À cela sont ajoutées les images filmées par son fils Loïc, coréalisateur, quelques années plus tard. Il filme ainsi des plans de route et des paysages surtout pour alléger la trame narrative, mais aussi afin de lier entre elles les pièces du travail entamé par Lucie.

L’œuvre forme principalement un monologue. Lucie se confie parfois directement à la caméra, d’autres fois en voix hors champ. La narration a été rajoutée plus tard, lorsque Loïc a repris le projet. Mis à part cette participation à la narration du film, Lucie a préféré ne pas participer au processus de création final du court-métrage présenté par son fils Loïc. Il affirme par ailleurs qu’elle a été surprise du résultat, déçue même, que le film ne soit pas celui qu’elle avait imaginé. Mais c’est plus tard, en constatant la réaction du public, qu’elle a compris ce que Loïc avait voulu montrer : en plus de dépeindre son témoignage et son périple, il a tenté de présenter sa mère comme la femme heureuse, aimante et amusante qu’elle est, malgré tous les maux et la peine qu’elle a pu subir.

Ne plus se taire

«Parlez-en», crie-t-elle à un moment à la caméra, alors qu’elle conduit jusqu’au domicile de l’agresseur. Lucie passe aussi un message par son acte : le silence n’est pas la solution. Il vous garde en cage et vous empêche d’avancer.

Son geste pour atteindre la délivrance fut celui de la confrontation. Elle a su prendre, littéralement, la route de la liberté. Une fois la lettre remise, elle a cessé de ressentir cette grande tristesse qui l’habitait depuis tant d’années. «Elle faisait des cauchemars et après ça, elle n’en a plus jamais fait», témoigne son fils. Toutes les victimes de viols n’ont pas la possibilité ou la volonté de faire ce que Lucie Tremblay a fait. Le documentaire transmet cependant un message clair, celui d’éviter de ressentir de la culpabilité, ni de se taire ou encore d’enfouir la douleur qui, au final, ne fera qu’anéantir les victimes. Les cas diffèrent et forcément on ne peut généraliser ces actes atroces, mais selon Lucie, briser le silence peut être infiniment libérateur.


elle pi son char, court-métrage réalisé par Loïc Darses, 2015, (29min).

Article par Marissa Groguhe.

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