Sacrer : « conférer à quelqu’un [ou quelque chose, quelque part] un caractère sacré par une cérémonie »[1].
Sacrer comme dans rituel. Sacrer comme dans sacrifice.
Le Sacre du printemps est une partition d’Igor Stravinsky composée pour un ballet russe en 1913. Nijinski, le chorégraphe, y raconte un rite sacral. Lors de sa présentation, la pièce musicale crée un scandale tant elle est révolutionnaire. Moderne pour son temps, le Sacre du printemps laisse ses premier·ière·s spectateur·trice·ssans repères, ne sachant pas où la prochaine note les mènera[2]. Pour son temps, la partition musicale est avant-gardiste et sa présentation devant un public bouscule les attentes, causant l’émeute.
Il y a sacrer comme dans injurier.
La culture Hip Hop naît dans les communautés afro-américaines à New York. Le style de danse du même nom apparaît au courant des années 1980. Il s’agit d’un style ayant évolué à l’extérieur des studios, dans les clubs ou les block parties. À ses débuts, la danse de rue s’apprenait de façon informelle et sociable[3].
Dans la pièce Sacrer, ce sont deux cultures qui se rencontrent, créant ainsi le mélange de deux univers, soit celui de la danse de rue et celui de la musique classique. Le légendaire Sacre du printemps est cette fois en dialogue avec l’improvisation et la passion palpable de ces artistes. La forme du cypher (cercle de freestyle pratiqué surtout en Hip Hop), transposée sur scène, donne à chacun la chance de s’exprimer, de montrer aux autres ce que Le Sacre du printemps évoque en lui ou en elle. La forme du cercle est omniprésente et se dédouble : elle prend place au centre des spectateur·trice·s, puis ce sont eux et elles qui sont entouré·e·s à leur tour par les danseur·se·s.
Il y a sacrer comme dans sanctuaire, comme dans refuge, « la partie la plus intime, la plus secrète de quelque chose[4] ».
Par cette performance, les artistes témoignent d’un travail intensif, sans que rien ne paraisse trop calculé. L’improvisation semble certes dirigée et structurée, mais elle laisse une grande liberté de mouvement aux danseur·se·s. Ça rend l’ensemble imparfait, intuitif et vivant. C’est un grand terrain de jeu où s’explorent les possibilités du corps ainsi que son harmonie avec la musique. Les danseur·se·s s’accordent et se répondent dans le silence des mots: iels rendent la musique visible par leurs gestes et intentions. Les performances, d’abord improvisées, où fusent encouragements et mots d’appréciation, se muent en une pratique plus solennelle et intime ; ce qui est sacré, c’est cette célébration de la danse offerte aux spectateur·trice·s et lisible dans la liberté de mouvements et d’expressions.
Si le Sacre du printemps a d’abord été mal aimé, sali et incompris, il est aujourd’hui exploré dans chaque tonalité par ces danseur·se·s toustes singulier·ère·s sur la scène. L’ensemble de la pièce évoque une prière où chaque danseur·se utilise l’espace et le sol d’une manière très aboutie. La conscience du corps et de l’environnement de chacun·e est pluridimensionnelle : les artistes en tirent profit pour bouger lentement et se déplacer sans s’accrocher sur personne alors que l’ensemble s’agite dans l’espace. Les cris, les respirations, les exclamations et les pieds qui frappent le sol nuancent et complexifient la partition musicale. Tantôt rieur·se·s, tantôt sérieu·se·s·x, les spectateur·trice·s ne savent plus où donner de la tête devant ce rite qui apparaît farouchement organique. Ça semble émerger des tripes.
Sacrer de Katya Montaignac est une œuvre interdisciplinaire où la musique – parfois inquiétante, d’autres fois exaltée – invite les danseur·se·s à écouter et à partager. Le résultat est rassembleur et dynamique. C’est franc et comme à vif, autant la passion que la détresse, que la joie et la séduction. Sacrer est une pièce complète qui revisite le Sacre du printemps à travers l’exploration des danses de rue et se questionne sur le sacré à une époque où il semble parfois avoir disparu.
Sacrer a été présenté à l’Agora de la danse du 11 au 14 mai.
Autrice : Mathilde Côté
Conception et dramaturgie Katya Montaignac
Cocréation et interprétation Anaïs Chloé Gilles, Alizé Desrosiers, Shanyça Elie-Leconte, Walid Hammani, Mecdy Jean-Pierre, Victoria Mackenzie, Achraf Terrab
Artistes invité·e·s Gem.In.I Movement : Shakill Bruno, Paul Alexandre Dorsainvil, Gaelle Fabre, Lordyne Jean-François, Juliette Joseph, Joselande Josue, Mathieu Nelcy, Moohysha Parvelus, Robroyth G. Parvelus
Avec la participation deThéo Durieux et Laurier Petelle
Conception d’éclairage Tiffanie Boffa
Composition musicaleDon Barbarino
MusiqueThe Bad Plus – Rite of Spring : « Spring Rounds » (solo d’Anaïs Gilles) ; Remix d’Achraf Maadaoui Terrab (solo d’Achraf)
Coordonnateur Benoît Fareau-Gabourg aka Gem.In.I.
Mentor artistique et directeur des répétitions Gérard Reyes
Conseillère artistique Enora Rivière
Documentation photos et vidéo Do Phan Hoi
Recherche musicale et teaser Thomas Sauvé-Lafrance
Collaborateur.rices à la recherche Nindy Banks, Eloïse Caza, Junior Dorsaint, Solène Fillion, Jessica Gauthier, Jeff, Alexandra Spicey Landé, Maude Laurin-Beaulieu, Axelle Munezero, Pax, Sovann Rochon-Prom Tep, Elie-Anne Ross, Stephen Quilan, Thomas Sauvé-Lafrance et Helen Simard
Direction de production Anaïs Chloé Gilles
Coproduction Agora de la danse
Résidences de création Agora de la danse, CCOV, Salle de diffusion Parc-Extension, département de danse de l’UQAM
[1] Larousse, «Sacrer», <en ligne>, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sacrer/70450, consulté le 12 mai 2022
[2] Berry, Chloé, «Le Sacre du printemps, plus gros scandale de l’histoire de la danse. Premiers pas du ballet moderne dans le chaos, le 29 mai 1913», l-express.ca, <en ligne>,
https://l-express.ca/le-sacre-du-printemps-plus-gros-scandale-de-lhistoire-de-la-danse/, consulté le 12 mai 2022
[3] 100Lux, «Lexique des danses de rue», <en ligne>, https://www.100lux.ca/lexique, consulté le 12 mai 2022
[4] », <en ligne>, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sanctuaire/70815, consulté le 12 mai 2022