Andrew Shaver présente en ce moment une adaptation signée Terry Johnson de The Graduate, le film des années soixante dans lequel Anne Bancroft incarne une sulfureuse Mrs. Robinson. En plus de faire une lecture intelligente et colorée de la pièce, la production nous rappelle ce qui devrait être à la base de toute mise en scène: le plaisir.
Difficile de ne pas comparer une adaptation à son œuvre originale, surtout quand celle-ci lui fait des clins d’œil évidents. Depuis l’aquarium de la chambre de Benjamin à la sonnette de l’hôtel, la mise en scène est truffée de calques. La scénographie de James Lavoie, simple et efficace, permet d’évoquer les nombreux lieux nécessaires au drame dans une ambiance propre aux années soixante. Toutefois, le metteur en scène se joue de différents éléments scénographiques, faisant entrer les personnages en contournant un mur plutôt que de passer par la porte pourtant fonctionnelle. Cet effet de distanciation est répété sans cesse, rappelant au spectateur qu’il se tient devant une fiction et permettant une certaine liberté au metteur en scène. La liberté, par exemple, de revisiter la trame sonore de Simon & Garfunkel avec brio.
Si le texte ressemble beaucoup à celui du film (lui-même adapté du roman de Charles Webb), il comporte quelques scènes de plus. Après la fête donnée en son honneur, Benjamin fait un voyage pour rencontrer de «vraies personnes» avec la bénédiction de son père. En plus d’ajouter une certaine profondeur au personnage de Mr. Braddock (horriblement caricatural dans le film), il met en lumière la question des classes et nuance le désespoir de Benjamin. Le très jeune Dustin Hoffman qui l’incarnait en 1967 était malheureux et désorienté, mais amorphe comparé à l’aplomb de Luke Humphrey. La jeune Elaine Robinson aussi a gagné en dynamisme, passant d’une adolescente discrète aux yeux de biche à une femme brillante, indépendante et insolite.
Mais revenons à ce personnage mythique qu’est Mrs. Robinson. Brigitte Robinson (c’est le nom de l’actrice) est royale, offrant une prestation fine et subtile de la mère des couguars. Elle se garde bien de la vulgarité, de la froideur ou du snobisme qui serait des réponses simples aux troubles du personnage. D’ailleurs, la scène de beuverie entre les deux femmes Robinson, moment aigre-doux entre deux rivales à la fois mère et fille, adoucit le machisme inhérent à la pièce. Il est heureux qu’Andrew Shaver et son équipe ne soient pas tombés dans la pure caricature qui préside parfois au Segal.
Mrs. Robinson, à la fois diabolisée puis idéalisée, est devenue pour moi un des grands et difficiles personnages du théâtre, quelque part entre Toinette et Phèdre.
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The Graduate, d’après le film de Mike Nichols, adapté par Terry Johnson, est présenté au Centre Segal du 31 août au 23 septembre 2014. Une mise en scène de Andrew Shaver.
Article par Corinne Pulgar. Bachelière en art dramatique, parfois régisseur, metteur en scène et conseillère dramaturgique. Aussi végétarienne, humaniste, addict de la parrhésie et numéricienne lettrée.