C’est en octobre 2024 que François Lamontagne, titulaire d’une maîtrise en arts plastiques de l’Université du Québec à Chicoutimi[1], publie D’eau et de solitude aux éditions Hamac. Alors que l’écriture est une activité qui s’est imposée graduellement dans sa vie en parallèle à sa pratique en arts visuels[2], il nous livre une œuvre profonde qui s’interroge sur notre rapport à la nature, dans un monde où nous n’avons plus le contrôle sur elle.
D’eau et de solitude, raconte l’histoire d’un monde aux prises avec des changements climatiques défiant les prévisions scientifiques, un monde qui se noie peu à peu sous l’eau. Le réchauffement climatique fait fondre la glace polaire plus vite que prévu, le niveau de la mer augmente et, pour ne pas arranger les choses, il ne cesse de pleuvoir. Au cœur de cette catastrophe, un homme observe l’engloutissement de la ville, accoudé à son balcon. C’est presque avec fierté qu’il est témoin de cette invasion liquide, qui énonce ce que nous redoutons tous : la nature reprend ses droits. « Je me rends compte au même moment qu’en mon for intérieur, j’apprécie cette conquête de la nature sur l’être humain. Le règne de l’Homme s’achève et je m’en réjouis[3] ».
« Il pleut. Jour après jour, il pleut. La ville, le pays, le continent se noient[4]. »
Alors que tous espèrent un retour à la normale et se préparent à fuir, le protagoniste refuse d’abandonner son appartement. Sans autre motif que celui d’un profond désir de solitude, il se réjouit face à l’évacuation de la ville. Un silence lourd s’installe, un silence que seules la pluie et la hausse du niveau de l’eau viennent troubler. C’est à se demander si le protagoniste est en proie à une folie qui défie toute logique ou s’il s’agit seulement d’une fascination pour la nature, d’un genre d’amour qui le pousse à sa propre destruction : « […] juché sur mon balcon, je regardais l’eau s’accumuler. J’étais fasciné par ce mouvement continu qui semblait avoir sa propre volonté[5]. »
Après s’être acharné à occuper son temps et à vivre comme si de rien n’était, une panne d’électricité met en branle son confort. Ses ressources s’amenuisent de jour en jour et il se voit forcé d’explorer le bâtiment en changeant régulièrement d’appartement dû à l’augmentation du niveau de l’eau. Après avoir pris possession des autres logements de l’immeuble, le sien étant depuis longtemps inondé, il consacre toute son énergie à sa propre survie, en fabriquant un radeau pour faciliter ses déplacements sur les eaux envahissant la structure. Lorsqu’arrive le moment tant redouté, un instant de regret sème le doute en lui, déclenchant un mouvement de panique : et s’il avait fait le mauvais choix ? Force est de constater que, même s’il décidait lui aussi de fuir, il n’aurait aucun endroit où se réfugier, personne à qui demander de l’aide. Dans cette solitude qui le condamne à sa propre finitude, il attend que l’heure vienne, il attend d’être englouti par cette nature qu’il a tant admirée : « l’eau m’immerge maintenant de moitié. Mon calvaire achève. Mon corps, mon âme sont dès lors réceptifs au trépas[6] ». Dans cet état d’abandon, il ne reste pas grand-chose, sauf cette petite étincelle, celle de vouloir vivre qui se manifeste au dernier moment : « […] j’étouffe […] et un réflexe d’instinct primaire, coercitif, me pousse à me redresser […] il ne me reste qu’une solution : me jeter à la mer, là, à mes pieds. N’ai-je pas souvent rêvé de la rejoindre ? […] le radeau est encore proche […] j’embarque …[7]. »
Troublante, voire dérangeante, la solitude du protagoniste nous amène à nous questionner sur notre rapport aux autres et à notre environnement. Dans une époque où nous sommes de plus en plus à risque de nous heurter à une nature qui nous envahit, conséquence de notre aveuglement constant, il est pertinent de réévaluer notre manière de l’appréhender. Sommes-nous prêts à nous retrouver seuls, face à notre finitude, face à notre échec collectif de vivre en harmonie avec la terre que nous foulons ? Que nous reste-t-il du monde que nous avons construit si nous abandonnons notre domicile au profit de notre survie ? Que faire lorsque choisir entre la vie et la mort dans un contexte d’urgence nous mène à une perte individuelle ?
[1] Hamac, François Lamontagne, en ligne, https://hamac.qc.ca/auteur/francois-lamontagne/, consulté le 21 novembre 2024.
[2] Ibid.
[3] François Lamontagne, D’eau et de solitude, Montréal, Hamac, 2024, p. 10
[4] Ibid., p. 9
[5] Ibid., p. 13
[6] Ibid., p. 105
[7] Ibid., p. 108-109
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Lamontagne, François, D’eau et de solitude, Montréal, Hamac, 2024, 128 p.
Article rédigé par Leila Arab