L’être humain est-il fondamentalement bon ou mauvais ? C’est une question bien philosophique que je me suis posée tout au long de ma lecture de La version qui n’intéresse personne. Ce premier roman d’Emmanuelle Pierrot, publié chez le Quartanier, m’a profondément bouleversée.
L’œuvre, séparée en cinq parties, débute par le chapitre « Paradis ». La protagoniste, Sacha, nous guide alors dans son cheminement qui les a menés, elle et Tom, jusqu’au Yukon. Lentement, elle met la table pour la suite du roman en nous illustrant leur arrivée au Yukon, leur quotidien et les réalités de cette vie isolée. Sacha nous explique alors qu’elle a habité huit ans à Dawson, où elle a été guide touristique pendant les saisons hautes. Elle a majoritairement été en colocation avec Tom, son meilleur ami avec lequel elle a d’ailleurs traversé le Canada. Comme ils sont tous deux issus de familles dysfonctionnelles, Tom et Sacha ont développé un lien étroit très unique. Plusieurs mois s’écoulent dans ce chapitre qui nous positionne sur le mode de vie yukonnais. Le dénouement nous laisse toutefois présager que cette nonchalance tire à sa fin.
En effet, le vent se met à tourner dès la deuxième partie, « Vertiges ». Alors qu’elle se met finalement en couple avec son crush des dernières années, Sacha commence à sentir ses ami·e·s s’éloigner. Toutefois, tout bascule réellement lorsque Tom lui avoue ses sentiments. À partir de ce moment, la réputation de Sacha semble ternie. Elle est ignorée, rejetée, détestée. Ne comprenant pas d’où vient cette haine, elle se bat sans cesse pour retrouver sa place dans la gang. Cependant, même incluse dans les événements, elle se sent plus seule que jamais. Elle n’a même plus besoin de tourner le dos, on l’insulte maintenant très ouvertement, on lui crache au visage. Sacha a beau crier le plus fort qu’elle peut, s’obstiner, se justifier, s’excuser, rien n’y fait : elle est seule contre tous·tes. Personne ne veut croire à sa version des faits. Bien malgré elle, Sacha s’est retrouvée coincée dans l’omerta contre les femmes de Dawson. Sa descente aux enfers déjà bien entamée est accélérée par l’éclatement d’une pandémie mondiale qui l’oblige à s’isoler avec Buddy. Après s’être défendue corps et âme, Sacha touche alors le fond du baril.
Le début du roman, dont le temps de l’histoire est effréné contrairement à celui du récit, nous plonge dans un certain suspense qui nous tient en haleine jusqu’à la fin du roman : mais qu’arrivera-t-il à Sacha ? On sent le drame en trame de fond, menaçant d’éclater à tout moment. Ce n’est pas qu’un événement, c’est une suite de persécutions qui mènent à un désespoir total. C’est un effet de masse auquel il n’y a aucun frein. Un groupe qui s’influence à devenir de plus en plus méchant. En tant que lecteur·rice il est tout à fait choquant de voir ce récit se dérouler. Comment les gens peuvent-ils continuer de frapper quelqu’un qui est toujours par terre, sans défense ? C’est déchirant.
Nous n’avons qu’une envie : prendre Sacha dans nos bras et lui dire que nous l’entendons, nous la croyons, nous la supportons.
Pierrot, Emmanuelle, La version qui n’intéresse personne, Montréal, Le Quartanier, coll. « Série QR », 2023, 240p.