Depuis 2002, Temps d’Images explore l’hybridation des genres entre technologie et art vivant. Ce festival européen à l’origine, se veut une exploration des croisements « entre scène et image ». Durant les deux prochaines semaines, il nous présentera de la performance, des projections, de la danse, des installations et de la musique dans différentes zones du centre de création et de diffusion pluridisciplinaire montréalais.
Relative Collider
Dans un style très calculé, minimaliste, régulier et logique, la pièce de la danseuse et neuroscientifique Liz Santoro et de l’ingénieur et technicien de scène Pierre Godard se laisse difficilement saisir. La représentation avait lieu dans la grande salle de l’Usine C. C’est sur un décor très épuré, sans pendrillon et avec des éclairages blancs, crus, éclairant autant le public que la scène, que les quatre interprètes prennent place. Godard s’installe de profil derrière son ordinateur posé sur un socle blanc et démarre le métronome.
Les trois danseurs débutent une suite de gestes : 64 positions de bras et de mains – prélevées sur des photographies d’une ancienne pièce des deux collaborateurs, We Do Our Best (2002) – et autant de mouvements de pied. L’exécution est d’abord très régulière, synchronisée et alignée. Elle suit le rythme du métronome et de la voix de Godard qui énonce les chiffres à haute voix : « one and two, three and four, five and six, seven and eight ». Cette rigueur et cette répétition amènent le spectateur à observer avec attention les postures, à soutenir les regards, à écouter les divers bruits ambiants non-désirés : la ventilation, les sons extérieurs, les toux, etc. Le programme de soirée indique : « Le métronome n’est pas là pour guider le spectateur durant la représentation ou faire ressentir une émotion, il est là pour éveiller les sens et développer l’imaginaire. »
Puis, le locuteur amorce une énumération de termes, de noms propres, de relations, de fragments de phrase, qu’il essaie de maintenir à la cadence soutenue de son métronome. Graduellement, une certaine fluidité s’insère dans la gestuelle qui se désarticule, se désynchronise. Les danseurs semblent vaguement plus naturels, adoptent des postures moins strictes, moins soutenues, plus vivantes. Est-ce dû à un échange entre l’énonciation et la gestuelle? Quelle est la logique de ces changements? Le bourdonnement sonore se fait plus puissant et on en perd le son précis du métronome. Les corps réagissent-ils aux sens des termes prononcés par Godard ou à une logique et à une pulsion intrinsèque des individus?
« L’accélérateur de particules relationnelles » ou « grands anneaux accélérateurs de particules », comme il est possible de traduire le titre de la pièce, relève en fait d’un processus bien trop complexe à déchiffrer comme spectateur, voire impossible, tel qu’annoncé dans le programme de soirée : « un crescendo infini mû par une logique aussi limpide qu’inaccessible. » Malgré tout, sans saisir l’exact cheminement artistique quasi algorithmique, le public parvient à comprendre quelques insuffisantes bribes de cette exploration et à percevoir la volonté de questionner les hiérarchies perceptives.
Dans une entrevue au théâtre de la Bastille, les deux créateurs expliquent en détail leur mode de création: « il s’agit plutôt d’un dialogue sur des thèmes partagés (texte, langage, structure, bruit, entropie, système nerveux, etc.) et selon les modes opératoires très différents qu’ont l’art et la science. » Suivant leurs propres règles, qu’ils expliquent comme étant organiques, les créateurs ont construit trois systèmes: un de pied, un de bras et un système textuel. Ceux-ci se croisent selon une logique propre relevant des effets de l’entropie, et demande une présence et un effort de concentration important de la part des interprètes, très justes dans leur exécution d’ailleurs, et du locuteur pour arriver à coordonner le tout. Malheureusement, le regard du spectateur ne perçoit pas tout ce travail et beaucoup restent pantois devant ce spectacle plus cérébral qu’il n’y parait.
Singeries
Plus tôt en soirée était présentée la pièce de la chorégraphe, performeuse et chercheure en danse Catherine Lavoie-Marcus ainsi que l’artiste multidisciplinaire Priscilla Guy. C’est dans la petite salle de l’Usine C que s’était rassemblé un public bien au rendez-vous. Ce spectacle réunissait de nombreux collaborateurs tels que l’excellent Michel F Coté à la composition sonore, Antoine Quirion Couture à la vidéo, Paul Chambers aux éclairages, Julie Vallée-Léger à la scénographie, Marie-Claire Forté comme collaboratrice à la chorégraphie, Marie-Christine Quenneville aux costumes et Samuel Thériault à la direction technique. Cette équipe a su composer une proposition agréable rappelant une esthétique de film muet, tout en exécutant un travail du son et de l’image fort intéressant.
La pièce se déroule sur une impression de jeu, de dialogue, de poème entre les propositions visuelles des deux artistes et la composition sonore du compositeur. Elle se déploie dans un environnement tout de blanc constitué, écran, tapis, objets variés au sol, même les différents costumes que porteront les deux interprètes sont immaculés.
Les deux danseuses se déplacent ou se retournent pour faire dos au public et laisser la place aux projections diffusées sur différents types d’écran : stores, téléviseurs ou toile blanche. Elles se rejoignent au centre pour développer un échange amical et muet de regard et de postures lasses. Puis, elles répètent leur suite de mouvements plus rapidement, avec plus de conviction et des effets de bruitage viennent accentuer leurs gestes, créent l’effet de percevoir les textures. La séquence est une belle trouvaille et l’effet est très convainquant.
La composition sonore englobe les images et dialogue avec elles. Parfois image vidéo, les projections peuvent être déconstruites, rayées grâce à un certain travail de la pellicule. Parfois image matérielle, le travail corporel relève plutôt du support visuel. On discerne une volonté de préserver la relation entre les deux danseuses; la pièce libère un espace à ce tête-à-tête naïf. Quant à eux, les textes projetés conversent entre l’absurde, l’humour et la citation d’autres artistes femmes (Marguerite Duras, Chantal Akerman, Martha Rosler, Amy Greenfield, Maya Deren, Lygia Clark).
Une plus longue vidéo où figure les deux interprètes, apparait et réapparait sur la grande toile de fond. Les images, en noir et blanc rappellent l’esthétique des anciennes comédies (Pagnol, Chaplin, etc.). Cantonnés dans un décor qui ressemble à l’intérieur d’une vieille ferme de pierre, les plans alternent d’une interprète à l’autre. Elles grimacent, gesticulent et répètent certaines actions jusqu’à s’en étourdir, comme le rappelle le titre de la pièce, les Singeries. Néanmoins, il est plus difficile de retrouver les effets d’inquiétude, de dissolution et de démultiplication des corps annoncés dans le programme. Le spectacle propose de passer un beau moment dans l’intimité de ces deux amies et permet surtout de goûter aux ambiances, compositions et effets sonores de Michel F. Côté.
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Les pièces Singeries de Priscilla Guy et Catherine Lavoie-Marcus, en coproduction avec Tangente, et Relative Collider de Liz Santoto et Pierre Godard étaient présentées à l’Usine C à l’occasion du festival Temps d’Images du 11 au 13 février 2016.