
Crédit Photographique: Odile Gamache
Si certaines personnes désirent avoir des enfants, d’autres hésitent, et c’est le cas de Gabrielle Lessard. À une semaine de la représentation de la pièce Les savants, j’ai eu la chance de m’entretenir avec la metteure en scène et auteure. Elle s’interroge sur notre société et sur le choix d’avoir des enfants. Elle pose la question: comment pourrions-nous améliorer notre société?
Gabrielle a étudié en théâtre, en études littéraires, en biologie, en géographie environnementale et en urbanisme. Pour elle, ses études constituent la base de son imaginaire. Elle puise dans différents domaines afin de donner une couleur particulière et riche à son écriture. À la suite de sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, elle a surtout travaillé comme comédienne. En 2012, elle a aussi présenté son premier laboratoire : Retenir l’aube, à l’espace 4001. Depuis, Lessard a travaillé en laboratoire exploratoire, ainsi qu’au CEAD, afin de peaufiner son écriture en vue d’écrire Les savants.
Gabrielle a choisi, comme processus créatif, de questionner des gens issus de toutes sortes de milieux afin de savoir ce qui, pour eux, ne fonctionne pas dans le monde et quel serait leur monde idéal. Bien que les gens aient été très généreux dans leurs réponses, l’auteure trouve que ces derniers restent ancrés dans un réalisme qui l’étonne. Elle s’imaginait des réponses plus farfelues que ce qu’elle a reçu, comme un endroit au ciel rose où l’on retrouve des licornes. Elle a ainsi été motivée à pousser plus loin ses recherches et à se laisser porter par son propre imaginaire.
Les savants relate la vie de trois personnages dans une société futuriste où il faut obtenir un permis pour avoir des enfants. Comme un monde idéal qui serait allé trop loin dans ses réglementations, là où l’erreur n’a plus sa place et où des inspecteurs s’assurent que tout est fait selon les règles du système. Au moment de faire sa demande, Agathe, jeune femme enceinte, n’est pas admise au programme, alors que Jules et Sylvie le sont.

Crédit : Leïla Alexandre
Après l’entrevue avec l’auteure, j’étais particulièrement intriguée par son projet, mais j’avais de la difficulté à me le représenter; probablement puisqu’il s’agit d’une société complètement décalée de la nôtre. J’étais donc très excitée en m’assoyant dans la salle avant la représentation. La pièce est décalée, certes, mais pourtant encore actuelle en raison de certains référents et signes que nous reconnaissons; par exemple, une description d’un lieu rappelle vaguement l’UdeM et un exemplaire du journal Le Devoir se retrouve sur le comptoir. Cela dit, c’est parmi les seuls éléments qui renvoient directement à notre société.
D’abord, la scénographie d’Odile Gamache est froide et aseptisée, malgré un jaune chaud et très beau. La couleur correspond aux standards de la nouvelle société; il n’y a pas de place pour la laideur, le surplus de poids et la liberté individuelle. Le mur arrière de la cuisine est flanqué de fenêtres, qui permettent de créer un espace à l’arrière-plan et de superbes images qui soulignent l’éclairage de Cédric Delorme-Bouchard. Il ajoute de la profondeur au décor et aux acteurs dans un jeu de couleurs parfois très éclatantes, parfois très sombres, mais toujours en symbiose avec l’action et le décor.
Le futur assure la conception sonore qui est toujours très juste avec la trame narrative. Jamais trop présente, elle accompagne les acteurs et les soutient. Lors de l’entrevue, Gabrielle m’a confié avoir été très choyée par ses concepteurs, et on le sent tout à fait.
Gabrielle a une langue bien particulière qui rebondit et qui étonne au détour. La fable est somme toute assez traditionnelle, mais comme le contexte n’est pas ancré dans la réalité, on perd tous nos repères et c’est la beauté de la chose. On est transporté ailleurs, dans un autre monde. Une inquiétante étrangeté plane sur scène en raison du contexte, mais aussi du ton faussement rassurant d’Hélène, l’inspectrice, qui s’assure que la famille de Jules et Sylvie évolue selon le plan établi par le système. La tâche n’est pas facile en raison de la réticence de Sylvie, elle qui veut écrire et avoir du temps pour elle. On sent d’ailleurs que la langue a été travaillée conjointement avec les acteurs. Chaque personnage a vraiment une couleur qui lui est propre, avec une musicalité dans l’énonciation. Les comédiens interprètent intelligemment des personnages colorés, crédibles et surtout attachants. Un spectacle qui valait le détour, pour le dépaysement, le texte, la beauté de la scénographie et des éclairages, mais aussi pour la réflexion qui suit; devrions-nous, finalement, nous reproduire?
—
Les savants était présenté du 24 mars au 3 avril au théâtre Aux Écuries.