La salle comble du légendaire Café Cléopâtre se tient coite, dans un silence de morgue, uniquement ponctué de quelques gémissements d’horreur. La raison: gros plan sur un sexe se faisant trancher, dans toute sa splendeur graphique. Pourtant, il régnait quelques minutes auparavant une ambiance de faste et d’amusement, où le public riait et applaudissait la performance de la pétillante Cantelli, qui dansait énergiquement sur scène. D’une certaine façon, cette disparité, où l’amusant, l’étrange et l’insupportable se côtoient, était le principe même de la Nuit SPASM, qui en était à sa 11e édition le 28 février dernier.
Le festival SPASM, qui se tient annuellement à Montréal, célèbre depuis 2002 le cinéma insolite au Québec. À ce titre, sont présentés des films appartenant tant à l’horreur qu’à la comédie, en passant par la science-fiction. La plupart de ces courts-métrages échappent néanmoins à toute tentative de classification traditionnelle, présentant une grande perméabilité des genres. Ainsi, un film d’horreur amusant, voire léger, peut succéder à une comédie au final angoissante. En résulte une programmation à tout le moins éclectique, où le spectateur découvre un univers créatif incertain, la réalité étant incessamment remise en question.
La Nuit SPASM, qui se tenait dans le cadre de la Nuit Blanche montréalaise 2015, présentait un marathon des meilleurs courts-métrages sélectionnés lors du festival, en octobre dernier. C’est sur un court-métrage du légendaire cinéaste David Cronenberg, The Nest, que s’est ouverte la soirée, donnant le ton aux œuvres succinctes. Dans un plan séquence subjectif opprimant, une femme exige d’un chirurgien qu’il lui retire le sein gauche, convaincue qu’il s’agit d’un nid d’insectes. À bien des égards, le film d’ouverture donnait un aperçu des œuvres à venir. Au menu: films d’horreur québécois, espagnols et suédois, comédies, films trash, détraqués ou traumatisants et bien d’autres… Des huit heures de court-métrages présentées, j’ai dressé un palmarès des cinq œuvres s’étant le plus distinguées et représentant l’éclectisme du Festival SPASM.
Sale Gueule, d’Alain Fournier, mérite amplement le Prix du Jury SPASM reçu cet automne. Ce film d’animation dépeint le quotidien d’un vétéran balafré de la Grande Guerre qui assiste un gardien de phare vieillissant. Une tempête infernale fera néanmoins ressurgir les plus sombres secrets de celui-ci. L’esthétique particulière du film, dont les marionnettes accentuent le grotesque des personnages, lui confère une force. Tant le ton grisâtre – monde de béton, moisissures et tempêtes – que les dialogues épars font vivre au spectateur la claustrophobie des deux personnages. Le début du film suggère un parallèle entre le phare, pris en haute mer, et l’enfer. Le spectateur en devient rapidement convaincu, et ce jusqu’aux dernières images.
Difficile de créer une œuvre insolite autour de simples retrouvailles entre amis. C’est pourtant le tour de force que réussit Mon dîner au parc, de Nicolas Krief. Le court-métrage met en vedette, dans leurs propres rôles, Jean-François Gagnon et Julien Corriveau, du groupe humoristique Les Appendices. Jean-François, ayant supposément disparu après l’annulation de l’émission en 2011, recontacte Julien près de 3 ans après. Se retrouvant au Parc Laurier à Montréal, les deux anciens complices rattrapent maladroitement le temps perdu. Ici, l’étrange tire ses sources des réponses égarées, presque robotiques, de Jean-François, qui parvient difficilement à éclairer Julien sur son absence prolongée. Employant un langage visuel restreint (abondance de champs/contre-champs), le court-métrage de Nicolas Krief fait néanmoins un usage efficace de ses dialogues et interprètes, laissant les longs malaises silencieux et le langage maladroit de Jean-François établir l’univers étrange du film. Il aurait été difficile pour deux comédiens ne partageant pas la même complicité de rendre pareille justice au scénario.
À l’inverse, certaines œuvres présentées durant la soirée s’avéraient plutôt des expériences audio-visuelles dynamiques, où l’enchevêtrement de l’image et de la musique fait à lui seul le film. Escape from Midwhich Valley, du Français PH Debiès, appartient à cette catégorie. Adapté d’une nouvelle de H.P Lovecraft, une jeune femme retourne dans son village natal, peuplé d’étranges humanoïdes, d’où elle sera rapidement chassée. Le film, sorte d’hommage vidéoclip à une chanson de Carpenter Brut, entretient progressivement le mystère, provoquant des interrogations chez le spectateur jusqu’au tout dernier plan. En résulte une œuvre tendue, laissant le spectateur en état d’anxiété constant. Lovecraft oblige, les abominations monstrueuses présentes dans cette histoire ont su être réalisées avec sobriété, évitant de tomber dans un certain sensationnalisme grotesque.
Le programme de la soirée avertissait que deux spectateurs s’étaient évanouis lors de la projection du film espagnol La Carne Cruda. Tiré d’un fait divers allemand, le film de Samuel Lema y suit Hansel, hanté par ses fantasmes anthropophagiques. Le décès de sa mère pousse Hansel a passer à l’acte, forums de rencontre en ligne aidant. Indéniablement graphique, d’une violence inouïe, le film n’en demeure pas moins magnifiquement construit. L’éclairage contrasté, couplé à un noir et blanc âcre et des décors asymétriques, transforme cette sordide histoire en intense réflexion sur l’obsession d’un homme. Ici, la violence graphique n’est pas là pour divertir, n’est pas anecdotique, mais sert bel et bien à faire vivre au spectateur chaque seconde de douleur que vivent les personnages. Un des grands courts-métrages de cette soirée. Âmes sensibles néanmoins s’abstenir.
Nonobstant tout biais personnel, les œuvres d’horreur ont su offrir les meilleures réalisations. Parmi celles-ci, le court-métrage Tin et Tina, de Rubin Stein. Filmé en un seul plan magnifiquement construit, les deux enfants d’un riche bourgeois refusent silencieusement le repas que celui-ci leur sert. Le cinéaste, par la caméra fixe et la trame d’évènements, s’amuse à manipuler l’anticipation du spectateur, retardant constamment l’acte appréhendé. Ce film confirme une des principales règles du cinéma d’horreur, statuant que le plus effrayant ne doit pas être montré, mais bien suggéré.
Pour les curieux désireux de découvrir la programmation complète de la soirée, cliquez ici.</DIV ALIGN=JUSTIFY>
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Le Festival SPASM célébrait sa 11ème édition lors de la soirée du 28 février dernier au Café Cléopâtre.
Article par Nicolas Toutant.