Du 3 juin au 28 juillet, découvrez les luttes féministes de la deuxième partie du 20e siècle grâce à la plateforme de diffusion de documentaires Tënk.
Pour celle·eux qui l’ignoraient, le documentaire est très populaire dans notre province. Ancré dans l’industrie depuis longtemps, particulièrement grâce à l’Office National du Film qui, depuis sa création en 1939, produit et distribue des œuvres souvent documentaires, il est fêté chaque année grâce aux Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal. Cependant, à l’extérieur des festivals, le genre est fréquemment boudé au cinéma. Il trouve plutôt sa place à la télévision ou sur les plateformes comme Netflix qui présente en général des films à gros budget et aux thèmes scandalisant tel que The Tinder Swindler, Tiger King et Seaspiracy, laissant moins de place aux œuvres plus intimes, aux documentaires d’auteurs. Donc, pour les amateur·rice·s, trouver ce genre de cinéma, c’est s’engager dans une quête.
La plateforme Tënk, créée en France et lancée au Québec en février 2020, s’est donné comme mandat de faire de la place pour ce genre de projets. C’est un lieu de diffusion qui se veut solidaire et qui permet le rayonnement du documentaire d’auteur à l’international. À l’image d’un petit festival, le site détient en tout temps une quarantaine de documentaires à visionner en ligne, avec un roulement hebdomadaire. La plateforme est accessible avec un abonnement mensuel, mais il existe aussi un catalogue de films accessibles en location. Les œuvres que vous auriez manquées en festival s’y retrouvent régulièrement, comme ceux des Rendez-vous Québec Cinéma ainsi que des coups de cœur des éditions passées du Festival REGARD.
À partir du 3 juin, Tënk présente l’escale La vidéo féministe en France et au Québec : deux territoires, une carte où six films portant sur des enjeux féministes produits entre 1971 et 1996 sont programmés. Ce lieu de partage a été créé principalement pour célébrer les militantes à l’époque, celles qui ont utilisé la vidéo pour les accompagner dans leur lutte, mais le résultat va plus loin. Il s’agit aussi de mettre en lumière la distance, mais surtout la proximité entre nos enjeux d’aujourd’hui avec ceux du passé. Parce que non, les changements n’ont pas été drastiques en 30 ou 50 ans. Oui, quelques avancées ont été possibles, merci à ces militantes, mais nous sommes encore loin d’avoir gagné toutes leurs batailles. D’ailleurs, les récentes déferlantes haineuses envoyées à Amber Heard lors de son procès contre Johnny Depp, et ce avant même le verdict des juges, évoque la stagnation dans la lutte contre les violences conjugales. Mais passons, restons au cinéma.
La violence faite aux femmes est le thème principal d’un des films présentés dans le cadre de cette programmation féministe. Il s’agit de Chaperons Rouges d’Hélène Bourgault et d’Helen Doyle sortie en 1979. Utilisant parfois des scènes de fictions, d’autres fois des témoignages, ce documentaire part de l’histoire du Petit chaperon rouge pour exposer les conséquences de la violence. Les femmes parlent de la peur, de l’humiliation, de la colère et des douleurs physiques et mentales avec lesquelles elles doivent vivre dans une société où cette violence est exercée de mille manières, au quotidien. Par exemple, dans un témoignage assez comique, qui démontre bien à quel point la violence est devenue normalisée, une femme parle des moments où elle a eu raison d’avoir peur et des fois où ce n’était pas le cas, habituée de vivre dans l’angoisse de se faire agresser. Certains passages sont crus, très crus, troublants même et peuvent raviver certains traumatismes chez le public. Je pense à une scène où une artiste « mime », seule, une scène de viol en jouant la victime. Comme elle est seule sur scène, tous les yeux sont braqués sur elle, sur son expérience, sur ses émotions, sur ses « Lâche-moi! ». De cette façon, on efface toutes traces de male gaze, cette manière d’imposer un regard masculin sur le film, présent dans la plupart des œuvres grand public et qui transforme souvent les scènes d’agression en scène d’action, en effaçant complètement le point de vue de la victime. De cette manière, la scène devient encore plus bouleversante et rappelle l’idée d’un flash-back qui reviendrait à répétition dans la tête d’une victime.
Ce film, qui a plus de quarante ans, je le rappelle, évoque des choses encore très présentes dans notre société, comme ce constat : « On ne se questionne pas quand on se fait voler, mais on se questionne quand on se fait violer. » Une autre femme raconte avec un calme incroyable : « Je me suis fait violer deux fois. Deux fois dans mon corps, mais un million de fois dans ma tête et dans mon cœur. » Cela sous-entend la violence psychologique ou verbale qui, précédemment qui n’a été que liée à la violence physique ou sexuelle sans exister à part entière[1]. Maintenant qu’elle est considérée par le gouvernement du Québec comme une des cinq formes de violence conjugale[2], elle n’est toutefois pas vue comme un acte criminel, sauf dans certains cas[3].
Dans un autre ordre d’idée, un second film présenté est Unikausiq (1996) de Mary Kunuk, membre du collectif inuit et féminin Arnait Video Production. C’est un court métrage d’animation qui met en scène les histoires et les chansons ayant fait partie de son enfance. Les images sont des œuvres d’art visuel en elles-mêmes, mais il ne faut pas s’attendre à une animation à la Pixar. La simplicité est de mise et l’histoire prend toute la place. Unikausiq se traduit par le mot « histoires ». Et justement, c’est trois récits qui nous sont racontés. Le premier est en français et les autres sont en inuktitut, sans sous-titres. L’histoire de ces derniers est racontée sur des cartons présentés avant les images, nous laissant ensuite être bercé·e·s par la voix de la narratrice tout en associant les mots lus aux dessins qui défilent. Le troisième récit est certainement le plus surprenant, puisqu’il s’agit d’une chanson très joyeuse racontée selon le point de vue d’un goéland qui finit par arracher les yeux d’un homme blanc. C’est la voix chantée de Susan Avingaq qu’on entend, une artiste faisant aussi partie des fondatrices du collectif Arnait Video Productions.
En plus de cela, vous trouverez sur Tënk le travail d’une icône du mouvement LGBTQ2S+ en Suisse, Carole Roussopoulos qui capte le défilé du 1er mai de 1971, auquel participe le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) ainsi que À notre santé (1977) réalisé par Dominique Barbier, Louise Vandelac et Josiane Jouët qui témoignent de la deuxième rencontre internationale des Centres de santé pour femmes, tenue à Rome en 1977. Puis, D’abord ménagères (1978) de Luce Guilbeault, qui se veut un tableau de la situation du travail domestique non rémunéré au Québec dans les années 1970, ainsi que Histoire des luttes féministes au Québec (1980), d’Hélène Roy et de Louise Giguère qui donnent toute la place à l’historienne Michèle Stanton-Jean.Les films seront disponibles du 3 juin au 28 juillet sur la plateforme Tënk. Évidemment, une fois l’abonnement payé, vous aurez aussi accès au reste de leur programmation tout en diversité!
Jaëlle Marquis-Gobeille
[1] https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/promotion-sante/arretons-violence-familiale/ressources-prevention/violence-familiale/violence-psychologique-document-travail.html
[2] https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/violences/violence-conjugale/definition-de-la-violence-conjugale
[3] https://www.justice.gc.ca/fra/jp-cj/vf-fv/lois-laws.html