Ce n’est pas tout à fait de la danse, ni de l’art martial. Il ne s’agit pas exactement d’un pas de deux ni d’un combat de lutte. C’est quelque chose de plus subtil entre les deux, à la lisière.
Ce n’est pas tout à fait du cirque. Et pourtant.
The Chita Project, c’est le nom qui a été donné au duo artistique formé de Pablo Pamparo et d’Anna Kichtchenko. Lui originaire d’Argentine, elle, elle est canadienne d’origine russe, et les deux sont formé⸱e⸱s en cirque. Bien qu’iels travaillent comme professionnel⸱le⸱s avec des compagnies reconnues comme Les 7 doigts de la main ou le Cirque du Soleil, quelque chose les démange, comme une petite roche dans leurs souliers, une question énervante qui empêche de dormir la nuit.
« if our circus bodies attempt to express themselves in a new language, is it still circus? » (The Chita Project)
Le travail de Kichtchenko et Pamparo cherche à étendre les limites du langage circassien, à détendre les contours de la discipline et à imaginer, ensemble, de nouvelles voies d’expression.
C’est ainsi qu’iels présentent The Thing-in-Itself, la chose-en-soi. Un luminaire en caisses de lait, un espace délimité au sol, deux tabourets roulants et des manteaux d’hiver. Ce pourrait être une chambre à coucher, une arène, un garde-robe ou un terrain de jeu. Peut-être tout cela à la fois. Dans une scénographie épurée, mais forte, les deux artistes se livrent une bataille, dangereusement près d’un baiser. Le coup de poing devient un point de contact. Une sensualité et une vulnérabilité se dégagent de ces échanges à bras-le-corps, où les artistes en sueur et essoufflé⸱e⸱s se tirent et se poussent, vont et viennent. L’espace entre elleux devient palpable. Iels donnent corps à l’invisible.
Dans cette œuvre tout en tension, le public est amené à observer « la mécanique des corps, les attrapes, les manœuvres, le contact et les contrepoids à travers une pratique de boucles et de répétitions. » (Mot de l’artiste, Tangente). Prenant toujours l’audience au détour, instaurant des cycles de répétitions et en y intégrant soudainement un mouvement impromptu, la chorégraphie est intelligente et parfaitement exécutée dans un rythme d’abord lent, puis effréné. Un rythme qui force l’admiration.
Dans un décor et un environnement sonore DIY (Do-It-Yourself), les formes élémentaires (lumière, son, matière) deviennent sujettes à l’exploration. Un soupir devient musique, une lumière devient soleil, le frottis d’un manteau devient cadence et un tapis devient une plaine gazonnée. Chaque élément renforce la texture des corps, créant une approche multidimensionnelle au mouvement. À la fois éclectique et très intime, l’espace rend compte des questionnements des deux interprètes.
The Thing-In-Itself reprend les codes d’un match de boxe : la lumière suspendue au-dessus du tapis d’entraînement, la foule autour, les matchs chronométrés, la cloche qui sonne le début… Le monde régi de la boxe offre aux deux artistes un mode d’organisation rigide du temps et de l’espace pour mieux le faire imploser. En explorant la « relation poreuse entre le partenariat dans les arts martiaux et leur pratique acrobatique » (The Chita Project), les artistes mettent en lumière leur ressemblance. Cet élan vers l’autre, cette proximité, que ce soit pour affaiblir ou supporter. The Thing-In-Itself est une exploration du mouvement et de l’intimité dans l’espace, à mi-chemin entre le ring de boxe et un champ de bataille intérieur.
« What is space made of? What are we made of? Space and bodies are full of questions, overflowing with desires. There is the desire to play, to mix one’s body with that of another; a thirst for intimacy. » (The Thing-In-Itself)
La convergence du cirque et des arts martiaux dilate le temps, le souffle et le son. La confluence des disciplines force la distorsion des corps et de la lumière, « les images transpirent et les corps enflent jusqu’à faire éclater la scène. » (Tangente) The Chita Project offrira cette performance sans égal jusqu’au 6 octobre à l’Édifice Wilder.