Tove Marika Jansson est une artiste féministe et antifasciste née en 1914 à Helsinki, Finlande. Surtout connue pour ses illustrations et la création de sa série jeunesse Mumintroll, elle s’est aussi démarquée dans le monde de la littérature « adulte » avec des romans comme Bildhuggarens dotter (1968), Sommarboken (1972), Rent spel (1989) et, dans le cas qui nous intéresse, Resa med lätt bagage (1987). Celui-ci, intégralement traduit en français pour la toute première fois par Catherine Renaud pour les éditions La Peuplade, se retrouve sur les tablettes de votre librairie préférée depuis le 7 février dernier, sous le titre Voyages sans bagages.
Chacune des treize nouvelles du recueil aborde la thématique du voyage de manière non conventionnelle. Pour Jansson, « voyage » est un synonyme de déplacement, d’altérité et d’introspection : il est certes physique, mais surtout émotionnel. En écrivant cela, je pense principalement à la nouvelle « Voyage sans bagages », qui en plus d’être le titre du recueil, est aussi extrêmement ironique. Celle-ci raconte les mésaventures d’un homme ayant décidé de prendre le bateau pour Londres afin d’apprendre à ne plus mettre le confort des autres avant le sien. Alors qu’il commence un très littéral voyage sans bagages, le protagoniste est sans cesse placé dans des situations où un·e passager·ère lui raconte, sans son consentement, l’étendue de son bagage personnel. C’est par cette nouvelle que j’ai réalisé que le « voyage » n’était qu’un prétexte pour explorer différents aspects de l’humanité, à la fois positifs et négatifs. Cela rend la thématique incroyablement versatile et permet aux treize histoires de se ressembler sans toutefois être identiques.
En effet, celles-ci sont d’une variété telle qu’on pourrait croire que Voyage sans bagages est une collaboration littéraire; chaque histoire présente un nouveau personnage et son bagage personnel, une nouvelle partie de la Finlande, une nouvelle époque. Les voix narratives changent aussi souvent que les saisons qu’elles décrivent, et le genre littéraire va de la tranche de vie au conte philosophique, en passant par le thriller psychologique. Les seuls éléments qui les relient sont la thématique du voyage et le style d’écriture que je ne peux pas décrire autrement que « janssonien ». Tove Jansson avait développé, tout au long de sa carrière, la capacité de balancer la lourdeur de ses sujets à la légèreté de sa prose. Son style d’écriture, à son apogée dans Voyages sans bagages, est caractérisé par la tension constante entre la beauté de la nature et de l’humanité et la cruauté qui leur est inhérente. L’effet d’une telle confrontation est la création d’œuvres qui semblent « confortables » en surface, mais qui dissimulent une critique sociale, souvent écologique. Si la série Mumintroll est généralement considérée comme la parfaite représentation de l’art faussement réconfortant de Jansson, Voyages sans bagages en est l’exemple le plus frappant, le plus honnête et le plus doux-amer.
Je conseille à tout le monde d’avoir une copie de ce recueil. Les nouvelles sont si variées les unes des autres qu’il est impossible de les trouver redondantes, et le langage idyllique des descriptions de paysages vous feront voyager avec d’attachants protagonistes. Ne vous attendez surtout pas à une expérience de lecture unidimensionnelle! La réalité qui se cache derrière la magnificence de l’écriture vous fera rapidement revenir chez vous. N’apportez que le nécessaire.
Jansson, Tove, Voyages sans bagages, trad. Catherine Renaud, Saguenay, La Peuplade, coll. « Fictions du Nord », 2024, 267 p.
Article rédigé par Audrée Lapointe