Sophie Bienvenu est une écrivaine franco-québécoise qui s’est fait connaitre grâce au succès de son roman Et au pire, on se mariera, publié aux éditions La Mèche en 2011. Ce dernier est acclamé par la critique, gagne de multiples prix, puis est adapté au cinéma. L’autrice compte maintenant plusieurs œuvres à son actif, dont quelques-unes publiées chez Cheval d’août. C’est le cas de sa plus récente, J’étais un héros, parue en septembre dernier. Fidèle à ses habitudes, Sophie Bienvenu y aborde la relation père-fille, la solitude et la perte.
Déjà reconnue pour son habileté à sortir des terrains battus, l’autrice fait encore une fois preuve d’originalité en proposant une uchronie, c’est-à-dire qu’elle offre deux perspectives à partir d’un même point de départ. La littérature uchronique est plutôt rare au Québec; pourtant, c’est un genre captivant puisqu’il permet de connaitre plusieurs issues possibles selon les décisions prises par le protagoniste. Le genre uchronique illustre à la fois comment une seule décision peut chambouler notre vie entière, mais aussi comment certains évènements sont inévitables.
J’étais un héros débute par un diagnostic fatal : cirrhose du foie. Après de nombreuses années à boire pour engourdir la douleur, fuir la réalité et oublier son manque de courage, Yvan se retrouve devant l’annonce de sa mort imminente. Il est dans l’obligation de prendre une décision : continuer de boire et mourir à petit feu, ou faire face à ses démons et ne plus jamais toucher à une goutte d’alcool. Ainsi s’enclenchent deux vies parallèles, l’une où Yvan continue de s’autosaboter, l’autre dans laquelle un Yvan sobre affronte ses plus grands défis. Accompagné de son chat tout autant malmené par la vie, le protagoniste s’engage dans ces deux récits qui le mèneront inévitablement vers la mort.
L’œuvre de Sophie Bienvenu met en scène un protagoniste souffrant. Celui-ci est coincé dans le cercle vicieux de l’alcoolisme : il boit pour masquer son appréhension d’être imparfait et éviter de faire face à ce qui le rend vulnérable, puis, engourdi par l’alcool, il déçoit constamment ses proches, alors il boit pour oublier qu’il est une source de déception et qu’il n’a pas le courage d’affronter la réalité. En tant que lecteur·rice·s, nous sommes sans cesse mitigé·e·s entre la volonté de prendre Yvan en pitié et la facilité de le trouver odieux. L’œuvre en général est empreinte d’oppositions puisqu’elle est à la fois douce et percutante, frustrante et émouvante. Il est facile de sauter d’une opinion à l’autre en voyant le protagoniste succomber à sa dépendance et blesser ses proches à répétition. En effet, Yvan était un héros pour sa fille, jusqu’à ce qu’il ne le soit plus. La pression de performance en tant que père, mari et travailleur l’a submergé jusqu’à ce qu’il tombe dans l’alcoolisme pour oublier qu’il a échoué dans tout.
Bref, l’autrice a encore une fois su jouer de sa plume pour créer un univers bouleversant. Elle a relevé haut la main le défi qu’est d’écrire une uchronie dans laquelle deux mondes parallèles défilent, sans jamais laisser glisser les lecteur·rice·s dans la confusion. Il s’agit assurément d’un nouveau roman à succès signé
Bienvenu, Sophie, J’étais un héros, Montréal, Cheval d’août, 2022, 176p.