« Le roi, c’est moi », crie à qui veut l’entendre (ou pas) l’impétueux – et presque enfantin — Louis XIV. Le monarque, à qui l’on doit Versailles et l’absolutisme de droit divin, et dont le règne de 72 ans fut le plus long de l’Histoire occidentale, est ici l’objet central de La guerre, écrit et mis en scène par Sébastien Dodge. Dernier arrêt d’une trilogie où la rage, l’injustice et la haine dominent, l’œuvre se veut proche du spectateur québécois en présentant un récit issu de la patrie originelle qu’est la France monarchique.
Ce n’est pas le grand instigateur des arts et de la culture que Dodge nous présente. Celui-là, on le connaît trop bien et les livres se chargent de nous en parler en long et en large. C’est plutôt l’assouvissement sauvage des désirs d’une clique gouvernante au profit d’une nation que l’on met en lumière. Ainsi, un premier ministre-cardinal hypocrite au vocabulaire pompeux (Mazarin), une mère régente étouffante (Anne d’Autriche), des cousins assoiffés de pouvoir (le prince de Condé et la princesse de Conti) entourent l’irresponsable et immature Louis XIV, désireux d’envoyer la France guerroyer aux quatre coins de l’Europe.
D’emblée, la pièce séduit en faisant sourire et même rigoler aux éclats. Le récit s’ouvre sur le jeune roi et son entourage, campés sur une large table, avec en contre-bas, aux deux extrémités de la scène, deux hommes habillés simplement. Ces derniers énumèrent tous les rôles qu’ils tiendront (soldat, coiffeur, divers ministres, etc.). Les deux comparses, tantôt complices, tantôt ennemis, agiront tout au long de la pièce comme lien comique entre le roi et le peuple, énonçant les divers mouvements, scènes et personnages qui prendront place à mesure que la pièce se joue. Cette narration vivante et originale permet d’éviter le piège de la présentation d’un simple récit historique.
On voulait faire une comédie et c’est réussi. La grande table servant tour à tour de promontoire, de lit et de salle de réunion du conseil royal est ce qui constitue essentiellement le décor de la création. De celle-ci sera issue une foule d’accessoires aux vertus comiques. Au niveau langagier, l’auteur use avec justesse de la différence d’accents, pourvoyant plusieurs personnages d’un accent québécois très prononcé. Ainsi, Louis XIV s’exprime comme un jeune Québécois, multipliant les « faque» et les « ta gueule » de ce monde, cadrant mal avec l’accent pointu de l’aristocratie française. La régente Anne et le cardinal Mazarin font figure d’objets archaïques en utilisant le langage ampoulé employé à la cour du Roi.
L’esthétisme est également au rendez-vous. Les éclairages variés, étudiés avec soin, mettent en lumière tantôt le peuple, tantôt le roi. La folie sanguinaire de Louis XIV, martelée plusieurs fois à travers une scène, marque l’esprit du spectateur. Armé d’une mitraillette AK-47 dorée, le monarque tire à bout portant, sous un éclairage saccadé et une musique envoûtante. Cette image presque christique est remarquable.
Tout ce que l’on regrette, c’est que La guerre soit présentée dans un endroit aussi étroit que la salle Jean-Claude Germain. On voudrait que plus de gens profitent de cette excellente création qui mériterait plus d’attention.
La guerre, à la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui.
Jusqu’au 3 mars 2012.
Article par Félix Delage-Laurin.