Les éditions Ta Mère se sont démarquées dans les dernières années par leurs publications d’œuvres théâtrales. Non seulement cette maison permet-elle un second souffle au théâtre québécois, mais elle l’utilise aussi à bon escient pour parler de sujets de haute importance. En effet, dans les derniers mois, des thèmes modernes cruciaux ont agilement été soulevés dans certaines œuvres. Parmi celles-ci, Wollstonecraft de Sarah Berthiaume et Les glaces de Rébecca Déraspe se démarquent par leur style particulier et leur originalité.
La reprise moderne d’un grand classique
Wollstonecraft de Sarah Berthiaume est paru en août dernier et je m’en veux terriblement de ne pas avoir pu assister à l’une des représentations de cette pièce au Théâtre de Quat’Sous en avril et en mai dernier. Cette pièce est, selon moi, du pur génie.
Nous y rencontrons les personnages de Marie, protagoniste obsédée par l’idée de devenir mère, de son amie Claire, une vendeuse de Tupperware activiste, de son copain Perceval, un poète de renom dont le travail est généré par un algorithme, et de sa création, la Créature, composée de fœtus et de résine. Marie Wollstonecraft fait des fausses couches à répétition et est torturée à l’idée de ne jamais devenir mère. Les médecins, accessibles uniquement en consultation virtuelle, lui disent de se débarrasser des fœtus qu’elle a gardés précieusement dans son congélateur pour des tests. Toutefois, une bien meilleure idée lui traverse l’esprit alors qu’elle pose le regard sur l’imprimante 3D que lui a apportée Claire pour imprimer ses Tupperwares. Entre deux éclairs, nous reconnaissons l’œuvre Frankenstein de Mary W. Shelley.
Cette réécriture véhicule une critique sociale en mettant en lumière plusieurs enjeux contemporains. Entre les dialogues apparaissent en effet des réflexions sur le réchauffement climatique, la surconsommation, la valeur – nulle – de la culture et l’engorgement des hôpitaux dû au manque crucial de personnel médical. J’ai aussi trouvé l’utilisation du dialogue très moderne puisqu’il souligne le manque d’écoute. En effet, les personnages ont beau discuter entre eux, ils ne sont pas attentifs à ce que l’autre leur dit, trop absorbés par leur propre personne.
Une réflexion primordiale sur le consentement
Alors que les vagues de dénonciations du mouvement #metoo frappaient durement le Québec, la pièce Les glaces a été rédigée par Rébecca Déraspe et présentée au théâtre La Licorne.
Lorsque Noémie apprend que son fils est accusé d’agression sexuelle, elle est immédiatement et brutalement basculée dans ses souvenirs douloureux : ce jour, il y a 25 ans, où elle a elle-même été victime de violences sexuelles. C’est alors qu’entrent en jeu les présumés agresseurs, Vincent et Sébastien. Terrifiés de perdre leur vie familiale actuelle, ils essaient de se convaincre que Noémie était consentante, qu’elle se fait des idées. Comment peuvent-ils réparer les conséquences de leur geste après toutes ces années ?
Cette pièce soulève le manque d’éducation sexuelle auprès des adolescent·e·s. En effet, rien n’excuse la violence sexuelle, ni la jeunesse, ni la consommation d’alcool ou de drogue. Rébecca Déraspe met aussi en évidence les procédures judiciaires problématiques qui non seulement replongent les victimes dans leurs souvenirs traumatiques, mais les confrontent aussi énormément. Le victim blaming n’est pas rare dans le cas d’une agression sexuelle, on remet ses paroles en question, on lui demande de fournir des preuves matérielles – son témoignage n’étant pas assez pesant pour faire pencher la balance à lui seul – et on lui reproche ses vêtements, sa consommation d’alcool et les mots qu’elle n’a pas prononcés. Sujet qui fait murement réfléchir.
Comme quoi le théâtre ne perd pas de son importance à travers les années!
Berthiaume, Sarah, Wollstonecraft, Montréal, Éditions Ta Mère, 2023, 176p.
Déraspe, Rébecca, Les glaces, Montréal, Éditions Ta Mère, 2023, 248p.