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18-05-2025 Vol 19

Une bouteille à la mer. Les Loups de Sophie Deraspe

Les Loups de Sophie Deraspe, troisième long-métrage après Les signes vitaux (2009), se présente comme une incursion dans l’univers des habitants d’une île de l’Atlantique confrontés à l’arrivée d’une mystérieuse étrangère issue de la ville. S’il semble y avoir une apparente dichotomie entre la nature et la civilisation, le long métrage de Deraspe sonde avant tout l’espace vide qui s’insère entre ces deux mondes en tentant de tisser un lien de filiation perdu. Quelque part dans cette quête existentielle, les images nous invitent à percevoir ce qui rattache l’être humain à ses semblables.

Crédits photographiques: Les Films Séville
Crédits photographiques: Les Films Séville

C’est dans cette optique qu’Élie (Evelyne Brochu), une étudiante en lettres en quête identitaire, s’installe sur une île de l’Atlantique à la recherche de son père qu’elle ne connaît pas. Peu à peu, elle entretient des liens avec la communauté et découvre les traditions de celle-ci.

Dès le début du récit, Élie nous est montrée comme une femme un peu à part, perdue dans ce nouveau décor et sans repères. La plupart des personnages de l’île s’en méfient, car ils la perçoivent comme une touriste naïve cherchant à se ressourcer alors qu’eux travaillent dur et chassent pour leur survie. D’emblée, on dépeint deux rapports à la nature: l’un rejoint ce besoin de se reconnecter tandis que l’autre est en relation de dépendance et de survie. À partir de ces deux cas, les habitants de l’île semblent être dans un rapport authentique à leur environnement tandis qu’Élie semble entretenir un rapport avec la nature qui nous paraît artificiel. La caméra de Deraspe arrive rarement à nous montrer comment il est nécessaire à la protagoniste de tisser un lien avec la nature et qu’il y a bel et bien quelque chose d’authentique dans sa quête, tant Élie semble être tenue à l’écart et ne nous laisse pas avoir accès à l’intériorité du personnage.

Crédits photographiques: Les Films Séville
Crédits photographiques: Les Films Séville

Le problème réside dans cette dichotomie de la ville et de la nature qui n’arrive pas à se déroger des préjugés. Pour y parvenir, Deraspe aurait pu opposer le point de vue des habitants de l’île par rapport à la ville. Élie est le personnage qui possède ce regard de la ville, mais elle nous apparaît trop naïve et distante. De plus, si la caméra de Deraspe est capable de dévoiler une communauté fière, forte, joyeuse, authentique et soudée, elle a du mal à révéler le contraste avec la civilisation qui en serait une de perdition et d’artificialité.

 Les Loups traduit malheureusement une incapacité d’articuler à l’image une vision autre que celle déjà présente dans le scénario. Le film est basé sur cette relation entre deux parties, mais puisque nous n’avons pas accès au point de vue d’Élie, la communication se perd dans la nature. Par exemple, l’une des séquences les plus importantes du film met en scène le rituel de la décapitation d’un loup marin. Cette scène est présentée au spectateur, mais Élie n’y assiste pas. On se demande donc comment Élie peut parvenir à comprendre sa communauté de sang sans accéder à une scène de ce genre. Le manque de contact réel entre la protagoniste et sa nouvelle communauté nous fait perdre le fil conducteur qui visait à restituer la relation d’Élie avec son père.

Crédits photographiques: Les Films Séville
Crédits photographiques: Les Films Séville

Il y a bien une sorte de beauté relatée dans la dichotomie entre la nature et la civilisation qui se dégage du film (voir la critique de 24 images). L’authenticité de cette communauté qui se bat contre la nature, qui vit en elle grâce à des méthodes de chasse ancestrales est représentée avec un rare réalisme. Le personnage d’Élie, bien qu’échouant son insertion au sein de la communauté, réussit à restituer le lien fondamental perdu avec la nature. Ainsi, pour Élie, il y a bel et bien une nécessité de retrouver la force de la nature tout comme la communauté de l’île a besoin de vivre en relation avec celle-ci. Malheureusement, le troisième acte du film n’arrive pas à rendre compte de cette relation d’interdépendance de l’être humain envers la nature sans empiéter dans un retournement misérabiliste, déterminé et soudainement mélodramatique. Heureusement, il y a une belle réconciliation finale, marquant la beauté de la quête d’une communauté unie.

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Les Loups de Sophie Deraspe est en salle depuis le 27 février 2015. Drame, 1h47 min.

Article par Laurence Ly. En cours d’écriture d’un mémoire en communication, concentration cinéma et image en mouvement, cinéaste bénévole à temps partiel, critique à temps perdu et bien d’autres trucs dans l’âme.

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