Inspirée des événements des dernières années concernant le droit à l’avortement aux États-Unis, la pièce de théâtre Clandestines illustre avec brio le combat idéologique entre les mouvements pro-vie et pro-choix. Se déroulant dans un Canada futuriste où l’avortement est criminalisé, la première partie met en scène deux femmes effectuant des avortements illégaux dans un petit appartement. Surnommées M pour Marie et S pour Sylvia, les professionnelles médicales sont prêtes à mettre leur avenir en péril soir après soir afin de venir en aide aux femmes qui désirent mettre fin à leur grossesse. La médecin, M, est par ailleurs elle-même enceinte et se bat pour que ses enfants puissent détenir un droit complet sur leur corps, peu importe les décisions politiques misent en place. Elle tient d’ailleurs ce discours à son enfant à naître : « C’est pour toi que je suis ici. C’est un geste d’amour. Le corps, c’est la dernière des frontières. Tu pourras pas dire que j’ai rien fait pour toi[1]! »
Les convictions véhiculées dans cette première partie sont encore plus frappantes puisque les autrices parviennent à mettre en scène une pluralité de récits personnels qui démontrent l’importance de la liberté du corps. Une grande place est accordée à la liberté de choix sans pour autant dévaloriser le désir de maternité. J’ai trouvé très touchante cette solidarité féminine que l’on ressent dès le début de la lecture : de nombreuses femmes s’organisent entre elles pour créer un large réseau de support venant en aide à toutes celles qui sont victimes de la criminalisation de l’avortement. À travers plusieurs dialogues touchants, on ressent l’ampleur de ce réseau et les risques que certaines femmes prennent pour aider les autres. « Il faut que je protège… la personne qui m’a aidée. Les personnes qui font ça risquent tout. Vraiment tout. Si elles se font prendre, elles peuvent plus s’approcher des gestes de leur profession. Si quelqu’un connaît leurs identités, elles sont brûlées. Elles peuvent même plus continuer à aider. Elles vivent dans la peur constante pis elles servent plus à rien! Tu comprends[2] ?! » La première partie de la pièce se termine de manière choquante et va bousculer les vies de nombreux personnages.
La deuxième partie transporte le lectorat dans un tout autre contexte : elle commence avec le monologue de Maureen, une militante pro-vie. D’un point de vue féministe, cette partie du récit est particulièrement frustrante. On suit l’évolution d’une variété de personnages tels que Simon Oldfield, un politicien hypocrite antiavortement, Louise, une femme qui tente de mettre fin à sa grossesse, et Vera, qui est au cœur d’un procès remettant en cause le jugement de l’affaire Daigle contre Tremblay. Tous les personnages sont extrêmement bien écrits et expressifs, illustrant bien les impacts émotifs des politiques qui concernent l’avortement. L’hypocrisie semble cependant être le mot de maître de cette partie de la pièce puisque les discours des militants pro-vie contredisent souvent leurs actions et désirs personnels. Le caractère volontairement détestable de ces personnages est, selon moi, un des éléments qui contribuent à la réussite de cette pièce. On ressent une certaine forme de plaisir en les voyant contrevenir à leurs croyances, souvent de manière inconsciente, validant ainsi le point de vue des personnages pro-choix. Les autrices démolissent les arguments en faveur de la criminalisation de l’avortement de manière claire et systématique grâce à une écriture accessible et contemporaine.
Clandestines est une pièce extrêmement pertinente quant aux enjeux sociaux actuels, et je suis d’avis que c’est une lecture nécessaire puisqu’elle souligne la facilité avec laquelle notre société pourrait régresser sur le plan des droits de la personne en l’espace de quelques années. Se déroulant seulement deux ans dans le futur, cette dystopie nous rappelle la précarité des droits acquis et l’instabilité des décisions politiques.
[1]Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, Clandestines, Gatineau, Somme toute, coll. « La Scène », 2023, p. 20.
[2] Ibid., p. 138.
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Milot, Marie-Ève et Marie-Claude St-Laurent, Clandestines, Gatineau, Somme toute, coll. « La Scène », 2023, 224 p.
Article rédigé par Éloïse Huppé-Gignac