Polyphagie (nom féminin)
Besoin excessif de manger, qui n’est pas limité par le sentiment de la satiété[1].
Véronique Drouin, autrice depuis plus d’une vingtaine d’années, a su relever une tâche bien difficile : offrir aux lecteur·rice·s un roman d’horreur féministe hors du commun. Écrire un roman est en soi un exploit, mais l’autrice est de surcroit sortie des sentiers battus en rédigeant une histoire mystérieuse qui met en lumière divers enjeux sociaux. En effet, les thèmes de la grossophobie, des inégalités de genre et de la culture du viol y sont tous exposés. Certains passages permettent aussi de percevoir l’absurdité de ces iniquités, ce qui les rend d’autant plus frustrantes. En lisant cette histoire, les hommes comprendront peut-être davantage la crainte de traverser des ruelles sombres ou de se promener seul dans la pénombre.
Le roman débute par la présentation de la protagoniste, Romane. Aux prises avec un trouble alimentaire, celle-ci suit un régime très strict. Romane pratique l’autophagie, soit le jeûne intermittent. Ayant été victime de grossophobie – discrimination en raison d’un surpoids – tout au long de son enfance, la protagoniste s’est promis de ne jamais reprendre son poids durement perdu au fil de ses années d’efforts. Cela représente tout de même un défi et beaucoup de maitrise d’elle-même puisque Romane étudie dans une école culinaire. Sa vie au quotidien bien calculé prend toutefois une tournure inattendue lorsqu’elle reprend connaissance dans un endroit bien étrange après une soirée arrosée au bar, et ce, sans aucun souvenir. Ce réveil est rendu encore plus inquiétant par la présence d’une main à ses côtés, sans la moindre présence de son propriétaire. Et que dire du sang qui la recouvre entièrement! Débute alors la quête de Romane pour reconstituer les événements de la soirée. Alors que les disparitions s’accumulent, la protagoniste dégote des informations tout à fait troublantes.
Dans son roman, Véronique Drouin laisse planer le mystère, ce qui pousse les lecteur·rice·s à se poser une multitude de questions et à tenter elleux-mêmes de découvrir la raison qui se cache derrière ce phénomène étrange et inexpliqué qui s’empare de la protagoniste. L’autrice saupoudre subtilement des indices à travers le texte. Ceux-ci, qui nous reviennent alors en tête, rendent le dénouement jubilatoire. Drouin a réussi à composer un roman à la fois gore et intéressant. Certaines scènes sont d’une violence inouïe, mais les lecteur·rice·s n’en sont jamais témoins directement. Malgré ces actes brutaux qui garnissent le roman, plusieurs passages portent à la réflexion. C’est une œuvre tout à fait succulente! La petite touche finale, le partage de quelques recettes présentées dans le livre, est d’ailleurs une excellente manière de prendre en compte les lecteur·rice·s et de les faire sourire.
[1] Larousse, Polyphagie, en ligne, consulté le 24 mai 2023.
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Drouin, Véronique, Polyphagie, Saint-Laurent, Hurlantes éditrices, coll. « Fictions », 2023, 205 p.