Depuis quelques années, un intérêt envers la littérature autochtone émerge au Québec. Des maisons d’édition telles que les Presses de l’Université du Québec s’affairent à traduire des œuvres d’auteur·rice·s autochtones afin de faire rayonner leur culture. Ces dernières s’appuient fréquemment sur des faits vécus, notamment des injustices et des sévices dont ont été victimes les communautés inuites et des Premières Nations à la suite de la colonisation de leur territoire. La plupart du temps, ces faits sont exposés à travers des fragments poétiques. La langue et la culture de ces communautés transpercent d’ailleurs les recueils de poésie et les romans autochtones, stratégie adoptée par les auteur·rice·s afin de leur donner de la visibilité et de s’assurer qu’elles perdurent. La traduction et la publication en constante croissance d’œuvres autochtones a pour objectif de recomplexifier l’imaginaire du Nord.
En février dernier, la traduction française de Penriuk et sa douleur de l’autrice aïnoue Dobashi Yoshimi a vu le jour. Le professeur et directeur du Laboratoire international de recherche sur l’imaginaire du Nord, de l’hiver et de l’Arctique de l’UQAM, Daniel Chartier, y a d’ailleurs participé en y rédigeant une présentation qui accompagne l’introduction de Jeffry Gayman et la préface de Hanazaki Kôhei. Même si le livre est maintenant accessible en français, il est important de ne pas lui imposer une lecture conforme aux standards occidentaux. Il est effectivement courant de vouloir, bien que souvent inconsciemment, effectuer une lecture sans modifier nos attentes. Toutefois, les œuvres inuites et des Premières Nations diffèrent des œuvres occidentales puisqu’elles laissent paraitre leur culture orale. Il est donc fréquent d’y trouver des onomatopées, des répétitions et l’exploration des cinq sens. Un mélange entre la langue du colonisateur et la langue ancestrale s’y glisse aussi couramment.
L’œuvre de Dobashi Yoshimi est un témoignage des dommages causés par la colonisation du Japon. L’autrice laisse transparaitre la discrimination dont est victime la communauté aïnoue au sein de la population japonaise. Elle entremêle sa voix et celle de son ancêtre Penriuk pour dénoncer la profanation des Aïnou·e·s. La recherche scientifique effectuée sur ce peuple a poussé les universités du Japon à piller les tombes aïnoues afin d’en prélever les ossements. Il s’agit non seulement d’une violation culturelle, mais aussi d’un énorme manque de respect pour les familles. Un traitement brutal a d’ailleurs été réservé aux ossements. L’autrice dénonce dans son recueil la douleur et l’humiliation des familles aïnoues qui militent toujours auprès des universités afin de rapatrier les restes de leurs ancêtres. En tentant elle-même de récupérer les ossements de Penriuk, Dobashi Yoshimi a rencontré plusieurs obstacles, dont l’incapacité des scientifiques de différencier les ossements de plus de 1300 Aïnou·e·s qui se retrouvent au Musée Upopoy. Sans cette identification, il est impossible de répondre à la volonté de rapatriement.
Le témoignage de Dobashi Yoshimi illustre l’énorme manque de respect de la part des universités japonaises qui ont vandalisé les tombes aïnoues et qui refusent encore à ce jour de reconnaitre leurs torts. Malgré une couverture médiatique dans les dernières années, cette problématique est toujours bien présente et douloureuse pour les familles et la communauté des Aïnou·e·s exhumé·e·s.
Yoshimi, Dobashi, Penriuk et sa douleur, Québec, Presses de l’Université du Québec, coll. « Jardin de givre », 2023, 248p.