C’est en 2000 que le danseur et chorégraphe Akram Khan et le producteur Farooq Chaudhry fondent Akram Khan Company. Avec cette compagnie, ils souhaitent créer des œuvres en collaboration avec des artistes mondialement renommés dans différentes disciplines. Maître de kathak (danse classique du nord de l’Inde) et chorégraphe contemporain, Akram Khan cherche à faire le lien entre la tradition et l’innovation, entre l’Orient et l’Occident. Il prône une expression interculturelle narrative et utilise la danse comme un moyen pour « raconter des histoires », définition même du mot kathak en sanscrit.
L’artiste dévoile aujourd’hui sa dernière pièce, Until the Lions, avec laquelle il retourne à ses racines profondes que sont les contes de son enfance, et plus particulièrement, le Mahabharata. Inspiré du recueil de poèmes Until the lion : Echoes of the Mahabharata de la poétesse indienne Karthika Naïr, le chorégraphe s’est entouré de l’équipe artistique de DESH, l’une de ses précédentes créations, pour l’accompagner. Leur volonté était alors de raconter une histoire ancienne, de la mettre au gout du jour, en y mêlant danse traditionnelle indienne et danse contemporaine, signature particulière et unique du chorégraphe. Durant une année entière, le groupe d’artistes a effectué une recherche approfondie pour finalement créer cette pièce en quatre mois de studio et en faire une création unique, devenue le reflet de chacun des interprètes.
Invité régulièrement par Danse Danse depuis 2006, Akram Khan revient à la TOHU dans son espace 360 ° (unique membre du réseau 360 en Amérique du Nord), pour ravir son public fidèle, du 17 au 25 mars 2017.
C’est l’histoire des héroïnes, souvent méconnues, que l’artiste cherche à mettre en lumière. Fasciné par les personnages féminins depuis toujours, élevé par une mère forte et féministe, et désormais jeune père d’une petite fille, Akram Khan a voulu donner la première place à la femme, qu’il considère comme un symbole de paix.
Le conte se déploie donc ainsi. Princesse enlevée et rejetée par la société, Amba questionne les définitions de la masculinité et de la féminité tout en défiant le temps. Rejetée par les hommes et par sa société, elle se réincarne sous une figure androgyne, avide de vengeance, après l’invocation des dieux. Son corps féminin se transforme peu à peu en un corps masculin afin qu’elle puisse intégrer l’armée et ainsi tuer l’homme qui l’a blessée.
Pour traduire sa pensée et transmettre au mieux les péripéties du conte, le chorégraphe s’entoure de deux danseuses aux multiples talents et à la technique irréprochable : Christine Joy Ritter et Ching-Ying Chien, qui incarnent les deux faces d’Amba. Ce duo de femmes joue entre la tendre gestuelle d’une relation humaine intime et délicate, et les impulsions violentes du désir de vengeance. Par le métissage de la danse indienne traditionnelle et de la danse contemporaine, Akram Khan développe un vocabulaire par lequel s’expriment les diverses émotions des différents personnages, parfois sensuel, parfois animal.
Trois danseurs évoluent et se transforment au sein d’un décor magnifique, pensé et construit par l’artiste visuel Tim Yip. L’espace de danse est une scène ronde, en 360 ° où tout doit être repensé afin que chaque côté exposé au public ait son intérêt propre. Il s’agit ici d’un véritable défi qui mène les artistes du collectif à questionner les habitudes scéniques. Symbole d’origine, de puissance et de temps, une immense coupe de tronc d’arbre fait office de scène. La scénographie se voit enrichie par des jeux de lumière exacts et par la musique jouée devant les yeux des spectateurs.
En ce qui concerne cette musique, le créateur s’est entouré de quatre musiciens-chanteurs qui portent la pièce avec des rythmes kathaks. La volonté du chorégraphe était de retrouver les mélodies indiennes en utilisant d’autres instruments afin d’approcher l’universel. Selon lui, développer plusieurs perspectives sur une musique, c’est apprendre à mieux la connaitre. Acteurs à part entière de la création, les musiciens ont donc créé une harmonie qui stimule l’émotion et la sensibilité des danseurs, comme celles du public. Percussions, guitares et chants épousent la chorégraphie pour ne faire qu’un, et offrent à l’audience une création de haute qualité où puissance et sensibilité s’enlacent.
C’est grâce à la danse qu’Akram Khan aborde, tout au long de sa pièce, des thèmes difficiles à évoquer dans la culture de l’Asie du Sud : le genre et la vie intime. Se révélant dans les contes traditionnels, ces thèmes trouvent un écho dans nos sociétés contemporaines, où il est important d’après l’artiste de repenser aux mythes et aux origines. Notre monde actuel est complexe et nous avons perdu les mythes anciens, pourtant très puissants. Aujourd’hui, ils proviennent de la politique, des médias, de l’économie et non de l’essence même de l’être humain. D’après le chorégraphe : « Il faut inventer une nouvelle mythologie. »
« Tant que les lions n’auront pas leur mot à dire, les histoires continueront de glorifier le chasseur » (proverbe africain, inspiration d’Akram Khan).
La pièce Until the Lions d’Akram Khan company est présentée par Danse Danse à la TOHU du 17 au 25 mars 2017.
Article par Léa Villalba.