Marie Uguay est une poète québécoise des années 1970 qui a publié trois recueils (dont un posthume) dans son très jeune âge. Décédée à 26 ans des suites d’un cancer, elle a marqué le monde littéraire par sa plume d’une étonnante maturité. Dans un dernier billet qui relate de manière plus détaillée sa vie, nous vous invitions au spectacle Marie Uguay, La sauvagerie de l’orange. C’est dans un décor dénudé et sobre qu’il s’est tenu le 1er octobre dernier. Spectacle clôture du Festival international de la Littérature (FIL), celui-ci nous a conviés à une relecture de la poésie d’Uguay. Dans l’intimité de la salle La Chapelle, nous nous sommes plongés dans sa voix, dans ses mots, dans ses sons.
4 chaises. 3 toiles. 5 voix.
Quatre interprètes se présentent sur scène. Le regard fixé sur l’assistance, ils sont en silence. Les seuls mots auxquels nous avons accès sont ceux inscrits sur les toiles à l’arrière de la scène.
«Un seul moment singulier
nous fut accordé
où il n’y avait aucune distance
entre l’arrêt intime
de notre hâte»
(citation tirée du recueil Signe et rumeur; peinte sur l’une des toiles)
Nous lisons. Ils nous regardent lire. Un temps est accordé pour que naisse la cinquième voix du spectacle. Marie Uguay et ses mots s’inscrivent en nous. Nous sommes prêts.
Accompagnés des mots et du silence d’une voix trop tôt disparue, Gabrielle Bouthillier, Benoît Conversêt, Geneviève Marier et Richard Simas se sont livrés devant nous dimanche dernier. Les interprètes ont rendu de façon originale la poésie à la fois dense et merveilleuse de Marie Uguay. Comme un recueil dont on tourne les pages, chaque lecture se voulait singulière. Alors que l’une alliait contrebasse et accordéons, l’autre combinait « sketch télévisé » et humour. Ces différentes manières de mettre en scène la poésie de Marie Uguay, sans jamais remplacer ses mots et ses vers, ont été bien dosées.
Rien ne semblait lier les quatre interprètes entre eux. Composé de deux hommes et de deux femmes, le quatuor n’avait en commun que leur émerveillement pour l’œuvre de Marie Uguay et un questionnement qui les habitait : « qui est Marie Uguay pour moi ? Quel fut mon premier contact avec sa poésie ? »
Une physicienne trop concentrée à résoudre des énigmes a découvert la poésie de Marie Uguay sur le tard, alors que relier le point A au point B ne lui semblait plus satisfaisant.
Un immigrant accompagné de son dictionnaire a découvert les mots de Marie Uguay l’un après l’autre alors qu’il désirait connaître Montréal au travers de ses auteurs.
C’est à même la lecture des poèmes que ceux-ci ont cherché à répondre à cette question. Sous forme de prose, ces témoignages marquaient une pause avec les poèmes d’Uguay, ce qui nous permettait alors d’apprécier encore plus l’écho des vers tout juste entendus : ces brefs récits de vie se sont vite entrelacés à la poésie d’Uguay pour donner un aspect très personnel au spectacle. En contextualisant leur première lecture de ses recueils, les interprètes ont cherché, non pas à s’approprier cette œuvre éphémère, mais plutôt à l’actualiser à des réalités différentes, parfois aux antipodes l’une de l’autre. Ils n’ont pas cessé au passage de nous confronter à cette question.
Marie Uguay, La sauvagerie de l’orange a rendu de manière étonnante et touchante les mots de cette femme. On retient souvent son « urgence » de dire les choses, comme si sa poésie, en raison de sa maladie, se faisait porteuse d’un présent insaisissable. Alors que le spectacle rend bien cette importance de « l’instant », c’est avec l’impression d’avoir saisi ce bref moment d’instantanéité que nous applaudissons. Loin du présent incurable de Marie Uguay, nous comprenons toutefois, par les silences et le calme des interprètes, cette volonté d’accéder à l’outre-vie, cette autre vie non pas fatale, mais emplie d’émerveillement.
Marie Uguay, La sauvagerie de l’orange, présenté le 1er octobre au Théâtre La Chapelle dans le cadre du Festival international de littérature de Montréal.
Article par Annie Gaudet.