Daria Malfait Colonna signe ici un livre témoignage, une œuvre confession, celle d’une narratrice poète qui s’exprime avec un « je » interne que l’on reçoit dans la sécurité de son propre intérieur. Publié aux Éditions de la Tournure en 2015, Nous verrons brûler nos demeures est le premier ouvrage publié par cette auteure.

Source: Édition Le Pressier
La plume éminemment poétique et délicate de Daria Mailfait Colonna se met au service d’un texte biographique. Sous cette couverture se cache une histoire, celle d’une femme, celle d’un « je ». C’est une identité volatile qui manie le verbe avec virtuosité, laquelle lui a sans doute été nécessaire d’acquérir pour avancer dans ce monde, se faire une place en tant qu’écrivaine. Virtuosité qui n’émousse pas pour autant le regard de ce personnage. Cette narratrice anonyme, qui semble refuser de révéler autre chose de plus tangible que ses pensées, laisse transparaitre à travers un discours sur le monde sa propre histoire fondée sur un manque et une inexpressivité, celle de la reconnaissance et de l’amour du père et de la mère, car c’est bien un livre d’amour avec un personnage qui en est cruellement en manque. La défaillance d’un père et d’une mère l’amène à chercher désespérément ce sentiment amoureux tandis qu’elle brûle celui qu’elle reçoit aujourd’hui. L’amour de l’être aimé se consomme telle une drogue, enivre comme l’alcool, amène le doute, l’incertitude, le sentiment d’être en vie.
Le livre s’inscrit dans l’instant d’une pensée, dans la séquence de l’esprit de la narratrice, dans la spontanéité aussi de cette femme qui raconte. Il n’y a pas de filtre. Ici, la plume est une voix; une voix qui parfois ne parvient pas à dire, le nom du père et de la mère et l’identité de cet être aimé que nous voulons connaitre plus. Nous aimerions cerner davantage l’identité du père et de la mère, celle de l’être aimé. Si le roman est écrit à la première personne, cela ne fait pas de la narratrice le cœur de cet univers. Le père occupe le centre des pensées de cette femme, de son histoire et donc de son écriture. Ce n’est pas une œuvre narcissique comme on pourrait le penser. C’est un texte qui montre que l’écriture est une voix qui exprime ce que les lèvres ne peuvent bien souvent formuler, ce qui est impossible à formuler.
Qui dit poésie, dit travail du verbe. Les mots ici sont une structure, révèlent une architecture, une construction, la colonne vertébrale d’une histoire dont la trame se tisse dans le silence de l’interligne, dans le point qui ponctue une phrase courte tout à fait porteuse d’une longue pensée. Quand la poésie parle du monde, elle se fait prolixe. Quand elle s’exprime sur ce « je » féminin, sur cette histoire intime, elle se fait discrète. Qu’est-ce que cela nous raconte ? Il y a indubitablement une histoire. Il y a indubitablement une histoire, un récit personnel qui s’efface derrière un rapport au monde. Nous sommes dans le plein espace exorcisant de la poésie. Dans ce dévoilement mystérieux qu’elle autorise, on peut parler de vérités, les perdre dans l’espace du labyrinthe de l’interprétation, disséminer des cailloux blancs le long de la lecture.
Dans cette poésie, la phrase est une respiration, résonance d’un songe qui en a motivé la naissance. Elle est saccadée comme une pensée bouillonnante tout comme elle peut être longue à en perdre haleine, nous proposant ainsi un travail d’endurance. La phrase est l’électrocardiogramme de cette œuvre. Elle pulse, disparait momentanément puis réapparait, s’emballe, se calme, mais jamais ne s’arrête. À la fois pour la narratrice comme pour l’écrivaine.
Il y a la phrase et il y a le mot. Puissant. Parfois brutal, mais assumé. Ces mots pris dans un texte qui se suffisent aussi à eux-mêmes, qui sont une histoire à eux seuls.
« Je t’aime
Ces mots » (p.87)
Si le mot en poésie est un acteur, alors la poète est une réalisatrice.
Daria Malfait Colonna, Nous verrons brûler nos demeures, Éditions de la Tournure, 2015, 235 pages.
Article par Xavier Lacouture.