Vous êtes-vous déjà demandé, après avoir terminé la lecture d’une œuvre, quelle avait été l’inspiration de son auteur·rice? Si vous posez cette question à Renato Rodriguez-Lefebvre, connu dans certains cercles sous le nom d’Agent R., il vous chuchotera (après un rapide coup d’œil par-dessus son épaule) que, comme toutes les autres créations littéraires, son premier roman a été manufacturé par la Société des Détectives du Vivant. Cette organisation secrète s’est donné comme mission de stimuler l’espace littéraire mondial à travers des actes plus violents les uns que les autres. Vous pouvez les découvrir par vous-même en lisant Les détectives du vivant, publié par La Mèche le 23 août dernier. Nous ne pouvons vous en révéler davantage.
Le roman est court, mais incroyablement fourni. L’intrigue est narrée par une personne anonyme enrôlée de force dans l’identité de l’Agent R., qui voit son très méprisé quotidien chamboulé par la sollicitation de la Société des Détectives du Vivant, dont la philosophie est d’optimiser la relation entre la souffrance et la création littéraire afin de « produire une souffrance de qualité[1] ». Parce qu’elle refuse « que le mal existe librement, sans vocation esthétique[2] », la SDV pousse l’Agent R. à devenir, en son nom, manipulateur, pyromane, assassin et saboteur : un terroriste littéraire.
Le langage de Rodriguez-Lefebvre est cyniquement fleuri, ce qui rend la lecture de son premier roman agréablement grimaçante. En dépeignant une société culturellement dystopique, contrôlée par un pouvoir invisible, il arrive à aborder des thèmes extrêmement variés, allant de la glorification de la souffrance humaine à l’embourgeoisement, en passant par la volonté des institutions à vouloir contrôler le passé et le futur par le présent. Rappelant le genre du récit d’espionnage, le roman – digne de la saga vidéoludique Metal Gear – est l’équivalent d’une mine d’or. Il est évident que Rodriguez-Lefebvre s’est amusé lors de sa rédaction : il n’hésite absolument pas à accentuer l’absurdité des situations dans lesquelles son narrateur se retrouve, il glisse des références à d’autres œuvres qui semblent l’avoir inspiré et il critique ouvertement les institutions culturelles et académiques sans jamais avoir à les nommer. Il excelle dans le brouillage entre le réel et la fiction, allant même jusqu’à performer le procès de l’Agent R. lors du lancement de son livre.
L’œuvre Les détectives du vivant est une incroyable introduction au monde romanesque, un bijou à l’humour grinçant, une récompense après une longue journée. Je ne peux m’empêcher de le conseiller à quiconque cherchant un livre à se mettre sous la dent. Cela étant dit, il est de mon devoir de mentionner qu’il y a de multiples mentions de suicide dont l’importance narrative rend impossibles à éviter. J’invite donc les personnes qui sont sensibles à ce sujet à lire Les détectives du vivant avec précaution.
[1] Renato Rodriguez-Lefebvre, Les détectives du vivant, Montréal, La Mèche, 2023, p. 56.
[2] Ibid., p. 65.
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Rodriguez-Lefebvre, Renato, Les détectives du vivant, Montréal, La Mèche, 2023, 173 p.
Article rédigé par Audrée Lapointe