Dans le cadre de la série de spectacles Traces-Hors-Sentiers, Danse-Cité présente EMMAC Terre marine d’Emmanuelle Calvé. Du 5 au 15 mars, la chorégraphe, interprète et metteure en scène présente au public un spectacle multidisciplinaire poétique inspiré du conte inuit La femme squelette de Clarissa Pinkola Estés. Une présentation de danse contemporaine et de marionnettes bercée par la musique de Jorane et la poésie de Richard Desjardins.
Il est devenu presque rare d’assister à un spectacle de danse contemporaine narratif. EMMAC terre marine en est un exemple bien ficelé. Emmanuelle Calvé et ses collaborateurs racontent l’histoire de la naissance d’une jeune fille sensible à la faune et à la flore nordique, de sa chute dans l’océan puis de sa résurrection par un pêcheur. La danse contemporaine, la narration et l’art de la marionnette se côtoient sur scène. Comme mot d’ordre, la simplicité englobant la composition totale. Les décors se résument à de longues lignes blanches au sol. L’on change d’atmosphère avec le jeu des éclairages sur le fond blanc et la gestuelle des interprètes. Un exemple impressionnant se trouve dans la chute d’Emmac dans l’océan: les éclairages passent du bleu glacial qui domine l’ambiance scénique au vert marin, alors que le fond devient noir à la mesure où nous nous enfonçons dans l’océan. Les mouvements deviennent plus lents comme s’ils étaient exécutés dans une matière les retenant.
Le spectateur est appelé, une fois la création livrée par l’interprète, à s’inspirer librement de cette histoire sur les cycles de la vie et de la mort enseignés par la nature afin de l’envisager autrement, se l’approprier, comme Emmanuelle Calvé l’a elle-même faite avec le conte inuit à l’origine de sa création.
Une artiste multidisciplinaire, une équipe soudée
L’interprète principale est accompagnée d’un acteur, Jean-François Blanchard, et d’une danseuse, Jody Hegel, en guise de marionnettistes. Faisant usage de koken, ces non-êtres du théâtre nô, ils interprètent différents rôles, que ce soit pêcheur, poisson ou morse, toujours dans une sensibilité et une expressivité hypnotisante du corps. Même si l’attention du spectateur est portée sur la marionnette manipulée, le corps de ces interprètes bouge aussi dans une gestuelle qui fait partie de l’œuvre. Ils dansent aussi à leurs façons.
L’interprète principale, , se mouvant avec facilité et contrôle, fait preuve d’une grande technique mise au service d’une gestuelle libre et organique. Il est possible de suivre l’évolution de son personnage en observant la transformation de sa gestuelle et les accessoires simplistes qu’elle utilise, un chapeau ou une veste par exemple.
Les trois artistes sur scène utilisent des marionnettes conceptualisées par Emmanuelle Calvé elle-même et confectionnées par Jean Cummings, marionnettiste depuis 1986 au théâtre de l’Oeil. Elles sont simples et maniées avec justesse. Comme les interprètes l’ont souligné lors d’une discussion avec le public, les marionnettes sont manipulées comme des parties intégrantes du corps de l’interprète. L’esthétique de ces marionnettes peut rappeler l’esprit des estampes japonaises aquatiques avec les lignes sinueuses des formes et une physionomie rappelant celle des poissons.
Jorane et Richard Desjardins
La musique de Jorane enveloppe l’histoire qui se déroule sur scène et constitue un élément crucial de l’œuvre, même si elle parfois reléguée au second plan. Elle est une entité en elle-même, interagissant avec les autres interprètes sur scène. Les textes de Richard Desjardins agissent un peu de la même façon. Ils accompagnent la création d’Emmanuelle Calvé sans pour autant réciter exactement l’histoire qui se déroule devant les spectateurs. Ils parlent de la vie de façon plus large et s’intègrent parfaitement dans l’histoire d’Emmac. La poésie et la voix de Desjardins appuient les mouvements et agissent comme une musique aussi hypnotisante que celle de Jorane.
Conçues avec une économie de moyen et une simplicité impressionnante, les marionnettes permettent de mettre les propos de la chorégraphe en image. Les multiples disciplines artistiques présentes sur scène se nourrissent mutuellement pour former un spectacle unique et rafraichissant. Ce mélange des arts permettra sans doute à un public varié d’y trouver son compte et de découvrir de nouvelles pratiques.
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Emmac terre marine d’Emmanuelle Calvé, présenté au théâtre rouge du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, du 5 au 15 mars 2014.
Article par Anne-Marie Santerre.