L’œuvre Tueuse de joies patriarcales, une adaptation du spectacle humoristique Feminist Killjoy, est parue en avril dernier aux Éditions Somme Toute. Dans une formule qui se rapproche de l’essai féministe, Marie-Christine Lemieux-Couture partage une réflexion sur l’humour et la kyriarchie – « concept désignant les systèmes d’oppression combinés […] [étant] tous connectés, s’influençant et se soutenant réciproquement[1] ». L’autrice s’attaque ainsi à plusieurs formes d’oppression, notamment le patriarcat, le sexisme et la binarité des genres. Elle laisse entrevoir les différents aspects qu’elles peuvent prendre ainsi que leurs conséquences, qui affligent la plupart du temps les minorités. Partout, il y a un rapport de force : les normes et les marges. Les marginalisé·e·s sont sans cesse réduit·e·s au silence, coincé·e·s entre les préjugés et la persécution des dominant·e·s.
Dès la préface, Marie-Christine Lemieux-Couture nous laisse entrevoir son humour pince-sans-rire. « La répartie est la seule arme que j’ai pour confronter et démanteler ce qui me jette par terre[2] », écrit-elle. Sa maitrise de la langue française lui permet de jouer habilement avec les mots, donnant ainsi à l’œuvre un ton à la fois comique et intellectuel. Ainsi, l’autrice aborde un sujet très sérieux sans devenir redondante ni moralisatrice. En faisant référence à des événements de vie communs et en s’adressant directement aux lecteur·ice·s, l’autrice crée un lien privilégié avec elleux.
J’ai eu la chance de m’entretenir avec Marie-Christine Lemieux-Couture afin d’en apprendre davantage sur son œuvre.
Comment votre parcours scolaire a-t-il influencé votre écriture ?
Pour ce projet en particulier, mon intérêt pour la rhétorique dans mon parcours doctoral, avant de m’orienter vers la sémiocognition, a eu un impact significatif. La rhétorique fournit un champ foisonnant de manœuvres pour jouer avec le discours, le tourner, le détourner et ultimement faire rire.
Qui plus est, dans Tueuse de joies patriarcales, j’ai revisité certains essais qui ont fait partie de mon parcours doctoral. On y retrouve donc un morceau d’essai écrit dans le cadre du cours Le rire comme mode rhétorique dans les pratiques culturelles avec Annie Gérin et un extrait de mon examen doctoral co-dirigé par Luc Faucher et Sylvano Santini.
D’où est venu le projet de transcrire votre spectacle Feminist Killjoy afin d’en faire un livre ?
Le texte traînait dans mes tiroirs et ça me chicotait. J’avais l’impression qu’il fallait lui trouver une autre scène. Une scène où j’étais plus à l’aise aussi, parce que je n’ai jamais eu l’intention de l’amener en tournée, ni même de la jouer plus d’une fois. C’était un one-night-queer-woman-show, mais le texte lui-même n’en était pas moins pertinent. J’avoue, en revanche, qu’après l’avoir lu et relu des milliers de fois pour l’apprendre par cœur, ça m’a pris du temps avant d’avoir (semi) envie de le relire une quarantaine de fois comme le veut un processus éditorial normal!
Quelle est la place de l’humour dans votre vie? Pourquoi l’avoir choisi comme ton pour aborder ces sujets délicats ?
L’humour occupe une place importante dans ma vie parce que c’est le canal par lequel je gère ma colère. Si quelque chose me fâche, c’est par le rire que je vais le démanteler et lui arracher de son pouvoir. Je ne l’ai donc pas vraiment choisi, c’est un mécanisme de défense.
Votre démarche pour ce projet a-t-elle été différente de celle pour vos publications précédentes ?
Oui, parce que contrairement à mes autres publications, celle-ci a été écrite pour la scène à la base et elle manifeste cette expérience-là. C’est un texte presque collectif, puisqu’il s’est transformé au fil du rodage. J’avais un retour instantané en présentant des extraits ici et là. Et le texte final reste marqué par ce dialogue privilégié avec le public.
À qui diriez-vous que votre livre s’adresse ?
Je pense que c’est très vulgarisé et que n’importe qui peut le lire. Je dis toujours que j’écris pour que ma mère, qui n’a pas fini son secondaire 2, me comprenne. Je dis ça, mais en même temps, c’est clair que je ne ferai pas rire tout le monde, incluant ma mère!
Auriez-vous un conseil pour les étudiant·e·s qui aimeraient éventuellement publier une œuvre ?
Ce n’est pas nécessairement évident quand on ressent l’urgence de sortir un premier texte et qu’on ne connaît personne dans le milieu éditorial, mais je suggérerais de bien choisir avec qui on a envie de travailler le texte. Qui, avant quelle maison d’édition.
[1] Gouvernement du Canada, « Kyriarchie », Termium Plus, en ligne, <https://www.btb.termiumplus.gc.ca/tpv2alpha/alpha-fra.html?lang=fra&i=&index=frr&srchtxt=KYRIARCHIE>, consulté le 6 mai 2024.
[2] Marie-Christine Lemieux-Couture, Tueuse de joies patriarcales, Montréal, Somme Toute, 2024, p. 14.
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NB. Certains passages de l’entretien ont été édités et condensés.
Lemieux-Couture, Marie-Christine, Tueuse de joies patriarcales, Montréal, Somme Toute, 2024, 96 p.