Une exposition collective présentant les travaux des étudiants terminant leur première année de maîtrise en arts visuels et médiatiques à l’UQÀM s’est tenue au 407, boulevard de Maisonneuve Est du 14 au 19 juin dernier. Réalisée dans le cadre du cours Atelier III du professeur Paul Landon, l’exposition Espace coordonné fut l’occasion pour les étudiants de réaménager l’espace de la galerie en y intégrant des œuvres réalisées in situ.
Mettant en valeur les travaux de Béatrice Boily, Maxime Boisvert, Jorge Carranza, Karine Madran, Patrick Foisy et du duo Expédition, l’exposition avait comme ambition première de permettre la réalisation d’œuvres adaptées au lieu de leur présentation. À cet égard, la transformation de l’espace en galerie devenait également l’opportunité pour plusieurs des étudiants de transformer le lieu en atelier de travail pour la durée de sept semaines, mais surtout d’intégrer ce facteur processuel aux paramètres de leurs créations.
Le cas de Béatrice Boily en est un exemple. Lorsque l’artiste interdisciplinaire a entrepris la réalisation de son projet, soit une structure de tissu noir traversant l’espace inférieur de la galerie et pouvant être investie par le corps, elle s’est vue confrontée à un problème esthétique important. En effet, alors que sa composition était réfléchie comme une ligne découpant l’espace de la galerie en deux aires distinctes lorsqu’observée depuis le rez-de-chaussée, le tapis foncé recouvrant le plancher au sous-sol empêchait les visiteurs de percevoir clairement l’œuvre du haut de l’escalier.
Elle et le duo d’artistes Expédition ont donc entrepris de retirer cette couche superflue du sous-sol et de repeindre le plancher de béton sous-jacent en blanc. Ainsi, en plus de permettre la mise en valeur de l’œuvre de Béatrice Boily dans l’espace, ce nouveau paramètre formel a mené à la création improvisée d’une tranchée stratigraphique à partir des retailles du tapis par le duo Expédition. Faisant office de tableau, cette structure a par la suite été intégrée au bâtiment.
Au final, l’entreprise des trois artistes se sera étendue sur plusieurs jours, nécessitant plusieurs heures de travail collaboratif, se terminant par une reconfiguration considérable de l’espace. « À plusieurs reprises, nous avons dormi ici au cours de la semaine précédant le vernissage », ont confié les artistes.
Le projet de Béatrice Boily, juxtaposant ses préoccupations pour le mobilier, la sculpture et la performance, a donc pu occuper l’espace adéquatement. L’œuvre esthétisait l’espace inférieur de la galerie, tout en accueillant le corps de l’artiste au cours du vernissage pour une intervention performative.
« Pour moi, il ne s’agit pas de faire une performance, mais simplement d’intervenir afin de donner son sens à la sculpture, de lui conférer une fonction », explique l’artiste. « La structure fait office de tunnel suspendu, conçu à la fois pour recevoir mon corps et habiller l’espace. » L’étudiante dit s’être toujours intéressée aux dispositifs de présentation des objets d’art dans le cadre de sa démarche artistique, et qu’en définitive, il fut pour elle naturel d’intervenir et de créer au sein même de la galerie pour le projet.
Le projet d’Expédition s’inscrivait pour sa part dans une volonté d’intégrer la création de leurs travaux artistiques à leurs marches et activités quotidiennes. Il s’agit d’une recherche centrale dans les considérations du duo et entamée bien avant le début du travail au 407. « Nous voyons la création comme une expédition, ce qui nous permet d’improviser à partir de notre environnement et de matériaux non traditionnels dans la création de nos œuvres », expliquent les artistes pour qui l’univers urbain est un véritable atelier à ciel ouvert.
Sous le titre de Papiers pavés, leur investigation les a donc amenés à sabler la dalle de béton située devant la porte d’entrée de la galerie, puis de réaliser des tableaux ready-made à partir des papiers de verre géants utilisés lors du polissage de la dalle. S’il était impossible pour les visiteurs de voir les transformations que la dalle avait subies lors de l’ouverture de l’exposition – le duo ayant préféré en combler la cavité avant le vernissage – une photographie a néanmoins été présentée dans l’espace avec plusieurs morceaux de dalle, documentant et poétisant ainsi leur occupation du lieu.
Les œuvres et les interventions réalisées par Expédition sont ainsi parvenues à témoigner d’une réalité matérielle propre au caractère de la galerie. Cette composante esthétique du travail d’Expédition s’est notamment déployée dans l’espace à l’aide d’un enregistrement sonore du sablage de la dalle, émis dans la pièce où les artistes en présentait une photographie. « Pour nous, il était très stimulant de sabler une dalle au milieu de l’agitation de la ville », résume le duo.
Si les projets installatifs d’Expédition et de Béatrice Boily ont occupé l’espace inférieur de la galerie, le rez-de-chaussée était quant à lui consacré à la peinture. À cet égard, les considérations esthétiques du peintre Jorge Carranza l’ont poussé à peindre directement sur deux des murs de la galerie au cours de la semaine précédant l’exposition. Les formes abstraites réalisées dans l’œuvre Composition au 407 évoquaient l’architecture du local, permettant une extension virtuelle de son espace sur la surface du mur. L’autoréférentialité spatiale inhérente à cette démarche est d’ailleurs récurrente dans la démarche de l’artiste.
Pour sa part, le peintre Patrick Foisy a lui aussi décidé de s’intéresser à la spatialité du local dans sa peinture, s’ancrant dans une représentation figurative du lieu. Si l’artiste ne travaillait pas directement au 407 au cours de la semaine de préparation de l’exposition, il utilisait néanmoins des archives vidéo réalisées sur place au cours d’une nuit, et qui ont plus tard inspiré l’atmosphère inquiétante de son tableau. Le projet vidéo a lui aussi été présenté au sous-sol de la galerie. Entre représentation et interprétation imaginaire du lieu, la peinture de Patrick Foisy, qui emploie souvent le clair-obscur, permettait notamment d’apprécier l’espace du 407 sous un regard différent.
S’il est indéniable que certains projets exposés démontraient plus difficilement l’intérêt de leurs créateurs envers la spécificité du lieu, plusieurs artistes tels que Jorge Carranza, Patrick Foisy, Béatrice Boily et les membres du duo Expédition ont su tirer leur épingle du jeu afin d’habiter l’espace, à la fois comme atelier de création et comme espace d’exposition. En somme, les visiteurs d’Espace coordonné ont donc eu l’occasion de prendre compte des pratiques artistiques des étudiants et de leurs considérations spatiales ou matérielles propres au lieu, mais également de s’intéresser à la situation du 407.
En effet, le local, qui appartient à l’Université du Québec à Montréal, est revendiqué par les membres du collectif À LOUER comme espace d’exposition permanent pour les étudiants au baccalauréat en arts visuels et médiatiques. Il est toutefois prévu que le local soit plutôt loué à une entreprise externe au cours des prochains mois, poursuivant ainsi sa vocation commerciale habituelle. Pourtant, l’exercice d’exposition réalisé dans le cadre d’Espace coordonné démontre clairement une chose : l’espace possède un grand potentiel en tant qu’aire d’expérimentation et d’exposition viable, visible, voire stimulante.
Article par Christophe Scott – Peintre, étudiant à la maîtrise en histoire de l’art à l’UQÀM et assistant de recherche à l’ERHAQ. Je m’intéresse à la question de la représentation identitaire dans la peinture moderne.