Dès les premiers instants de Falcon Lake, je regrette d’avoir manqué les visionnements de presse et de devoir le regarder sur mon ordinateur, écran Rétina de 15,4 pouces. Je sais, c’est quand même un privilège d’avoir accès à des liens vidéos en avant-première, mais tourné avec une caméra à pellicule 16 mm, le film de Charlotte Le Bon se regarde mieux sur grand écran. Inspiré du roman graphique Une sœur (2017) de l’auteur français Bastien Viviès, le film met en scène les deux familles qui se retrouvent en vacances près d’un lac. Les deux adolescent·e·s, Bastien et Chloé, se rapprochent. La jeune de 16 ans informe Bastien de la présence d’un fantôme dans le lac qui deviendra une espèce de leitmotiv inquiétant au fil du film. Chloé l’invite dans son univers, lui, trois ans de moins, découvre un monde excitant, mais aussi troublant.
Le film commence le soir, dans le noir, une fille dans l’eau puis une famille qui arrive dans un chalet, une lampe de poche à la main : l’atmosphère est étrange, il fait chaud. Rapidement, le film devient inquiétant, mais doux à la fois. Il est tenu à bout de bras par les deux adolescent·e·s (Joseph Engel et Sara Montpetit, qu’on a aussi vu dans Maria Chapdelaine en 2021) qui jouent avec brio les subtilités de leurs rôles. Tout au long du film, nous sommes accompagné·e·s par le sentiment qu’il va se passer quelque chose, mais sans savoir exactement ce qui va se passer. Malgré tout, les scènes sont familières : on a tous·tes déjà été ados.
Le regard de la réalisatrice québécoise est précis et poétique sur cette histoire qui ne laisse rien au hasard. Elle semble avoir travaillé intimement avec la direction artistique (Alex Hercule Desjardins) et la direction photo (Kristof Brandl) pour habiller chaque recoin de chaque scène. Dans ce travail de détail, on reconnaît bien son intérêt pour le cinéma de genre et son passé d’étudiante en art plastique. J’oserais même dire que le travail de Charlotte Le Bon se rapprocherait de ce à quoi on s’attend d’un female gaze au cinéma, soit un langage cinématographique ne s’appuyant pas sur le style uniformisé du male gaze qui sexualise le corps des protagonistes féminins et qui fait passer ces personnages au second plan, comme faire valoir des hommes dans le film. Ici, par exemple, on comprend l’attirance de Bastien pour Chloé, mais sans avoir besoin d’objectiver l’adolescente. Pas de réalisation voyeuse, pas de caméra indiscrète qui découpe le corps de la jeune femme pour comprendre ce que Bastien « voit ». Tout se passe dans la mise en scène, les choix et les répliques du personnage de Bastien. D’ailleurs, Chloé reste une adolescente complexe, comme la plupart des jeunes à ce moment-là, à cheval entre les jeux d’enfants et l’appel de la sexualité, mais c’est elle qui est responsable de sa propre exhibition et de ses propres plaisirs. Ce n’est ni la caméra ni les hommes qui s’occupent de la dévoiler.
Film de contemplation, film d’ambiance, où la musique originale de la pianiste suédoise Shida Shahabi accompagne les moments charnières de ce récit. Je noterais un seul petit bémol, même si c’est un film avec beaucoup de noirceur, peut-être qu’au niveau de l’image, il y en a trop. En effet, malgré le soleil, l’été de Chloé et Bastien est sombre et gris, un choix de coloration qui, encore une fois, répond bien à l’histoire, mais qui pourrait lasser à la longue. Ne faites pas la même erreur que moi, n’attendez pas sa sortie sur les plateformes en ligne et allez le voir dans l’une des vingt-six salles de cinéma du Québec où il a pris l’affiche vendredi dernier.
Jaëlle Marquis