Paru en septembre dernier, Good Boy est le deuxième roman de l’écrivain Antoine Charbonneau-Demers, publié par VLB Éditeur. Après avoir ébloui la critique avec son excellent premier roman Coco, qui lui a valu le prix littéraire Robert-Cliche, l’auteur natif de l’Abitibi est de retour avec un livre qui vient réitérer sa position comme étant l’un des jeunes écrivains les plus talentueux de sa génération.
Good Boy raconte l’histoire d’un jeune homme de dix-neuf ans (qui n’est jamais nommé) fraichement arrivé dans une grande métropole (également jamais nommée) afin d’étudier la littérature, laissant derrière lui sa vie sécurisante et sa mère inquiète. Son but premier est de « péter le cube » (p.32), une expression qu’il emprunte à son amie Anouck: « Oh my god, faut que je pète le cube. — « Péter le cube »? What the fuck. – Je veux changer… je veux tellement d’affaires. Je veux sortir de ma zone de confort, dans le fond, c’est ça que je veux dire. » (p.32). Cette expression reviendra tout au long du roman, et sera la motivation première de tous les choix du protagoniste.
L’expérience qui permettra le plus au personnage de sortir de sa zone de confort sera l’exploration de sa vie sexuelle. D’abord inexpérimenté, le good boy s’inscrit sur des applications de rencontre et enchaine rapidement les expériences sexuelles dont certaines sont enivrantes et excitantes, alors que d’autres sont plus tristes, voire violentes. Ces expérimentations engendrent une série de remises en question chez lui. Charbonneau-Demers utilise un langage direct et froid, sans artifice ni éclat, allant droit au but: « Il aspire ma bouche, il me crache dans tous les trous, me renverse et me fait asseoir sur son visage. Je suis assis sur sa face. » (p.156) La sobriété du langage vient créer un contraste intéressant avec le caractère plutôt cru de la scène, où l’auteur préfère utiliser un registre neutre pour décrire des scènes sexuelles qui vont être de plus en plus intenses et expérimentales au fil du déroulement du récit. Ainsi, plus l’histoire avance, plus le personnage constate ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas dans le sexe, mais aussi chez ses partenaires. C’est le récit d’une découverte de soi, mais aussi du milieu homosexuel : il doit se familiariser avec le jargon propre à cette communauté, qui lui est complètement étranger, telles des expressions comme une twink, un daddy, un top, un bottom, qu’il entend pour la première fois. La lecture d’une vie sexuelle homosexuelle, même si Charbonneau-Demers ne réinvente pas le genre, est très rafraichissante dans le présent contexte littéraire québécois, où les récits qui mettent en scène des membres de la communauté LGBTQ2 se font plutôt rares. Cette mise à l’avant d’une telle sexualité vient de pair avec l’expérience de la jeunesse du protagoniste, qui arrive en ville avec la certitude qu’il va avoir la liberté d’expérimenter ce qu’il veut, avec qui il veut, quand il le veut.
L’une des choses que fait le mieux le jeune écrivain est justement de rendre compte des sentiments contradictoires que peuvent inspirer les grandes métropoles aux individus. Il est facile de transposer sur les grandes villes nos rêves et nos désirs puisque l’urbanisme est souvent synonyme d’opportunités infinies et de liberté absolue. L’excitation vécue par les personnages lorsqu’ils arrivent en témoigne amplement. Le good boy et ses deux amies veulent absolument expérimenter tout ce que la ville a à leur offrir, en laissant derrière eux les personnes qu’ils étaient pour devenir des meilleures versions d’eux-mêmes. Par contre, Charbonneau-Demers montre aussi le revers de la médaille, puisque les trois vivront des moments difficiles et des échecs cuisants. Anouck n’est pas capable de «péter le cube» et encaisse une énorme pression de la part de ses deux amis, tandis que Rosabel fait comme si elle y était arrivée, mais reste finalement toujours dans sa zone de confort. Le protagoniste, quant à lui, «pète le cube» de sa sexualité, mais résiste fortement aux effets de la ville, qui lui inspirent terreur et effroi. Plus le roman avance, plus il sombre dans une sorte de paranoïa, voire une démence, qui engendre des ruptures importantes dans le ton du récit, ce qui tend à alourdir la lecture.
En effet, l’aspect que l’auteur maitrise peut-être le moins est l’équilibre entre le caractère hyper réaliste de son écriture et les nombreux tournants surréalistes échelonnés dans l’histoire. Ces éléments, qui apparaissent sur plusieurs niveaux – en passant par des apparitions multiples et sporadiques de la chanteuse Rihanna pour aller jusqu’à la rencontre d’un homme avec une tête de chat qui poursuit le protagoniste dans le métro – sont parfois introduits maladroitement et viennent souligner de façon malhabile la paranoïa du personnage. De plus, certains dialogues, surtout ceux avec Florentia, sa voisine et propriétaire complètement désaxée, ne rajoutent absolument rien à la richesse de l’histoire, tout en créant certaines longueurs et alourdissant le texte. L’épisode ou ils vont au IKEA pour acheter un lit en baldaquin et celui où ils visitent et notent un Tim Hortons sont des moments qui ne sont pas nécessaires au bon fonctionnement de l’histoire, n’ajoutant rien d’enrichissant à l’oeuvre.
Le roman n’est donc pas parfait, mais la beauté de l’expérience de cette jeunesse découvrant avidement la ville fait en sorte que ses quelques faiblesses sont effacées par le talent d’Antoine Charbonneau-Demers, qui rend très bien les émotions contradictoires de ses protagonistes. À 24 ans seulement, il fait preuve d’une capacité de recul remarquable sur une période de sa vie qu’il est toujours en train de vivre. La fin du roman inspire une sorte de joyeuse mélancolie, où les promesses vides de la jeunesse sont mises de l’avant: le jeune homme mise seulement sur son physique pour arriver à ses fins. Il ne va pas à ses cours, ne travaille pas, et veut absolument tout avoir, tout de suite, seulement parce qu’il est beau, jeune, et que tout semble être possible. Mais il se rend compte que tout cela est éphémère, et que rapidement, les plus belles années de notre vie se retrouvent derrière nous. Good Boy illustre parfaitement cette période étrange entre l’adolescence et l’âge adulte, où certains résistent avec férocité à l’inévitable avenue que d’autres acceptent avec sérénité. En entrevue avec le magasine Fugues, Charbonneau-Demers illustre très bien sa prise de position sur le sujet, tout en venant souligner ce qui est au centre de son livre. Il évoque la tristesse qui vient avec le fait de réaliser que, malgré tout, le temps avance, pour le meilleur et pour le pire: « Ça fait mal… et je me demande si cette douleur de ne plus être jeune se termine un jour. » (Fugues, 29 août 2018).
GOOD BOY, Antoine Charbonneau-Demers, VLB éditeur, Montréal, 392 pages.
Article par Vincent Gauthier.