Tout récemment, Charlotte Gosselin publiait son premier roman graphique Je prends feu trop souvent chez les éditions Station T. L’artiste a une « démarche qui navigue entre contemplation des grands espaces et poésie de l’intimité[1] ». Dans cette œuvre, elle explore le cheminement difficile vers la guérison d’une femme qui souffre de troubles psychologiques. Le feu grandissant qui l’habite inquiète ses ami·e·s qui décident un soir de l’emmener à l’hôpital. Dans l’aile psychiatrique, elle côtoie alors des femmes qui, comme elle, tentent de chasser la dépression en s’ouvrant la peau. De retour à la maison, malgré la douceur[2] qui partage son quotidien, elle fantasme sur une fugue, mais reste là au cas où personne ne la chercherait. Voguant à travers les va-et-vient émotionnels, la thérapie et la médication, elle attend que les pilules endorment, que la libido revienne, un appel, sa place.
Malgré la douleur émanant de la prose, il est difficile de cesser de lire. Tout comme les colocataires de la narratrice, le besoin de s’assurer qu’elle ira mieux grandit en nous. C’est sans aucun doute grâce à la forme de l’écriture et des dessins qui donnent l’impression de lire son journal intime, créant ainsi un fort attachement et un sentiment d’empathie pour celle qui nous livre ses pensées. L’utilisation de tons gris et de traits saccadés – parfois en arrière-plan, d’autres fois qui constitue le corps de la protagoniste – met l’accent sur le chaos affectif et le caractère tranchant des mots. Dans certaines pages, Charlotte Gosselin dépose des couleurs vives, comme le jaune, de manière à faire ressentir le bien-être passager qui anime tout d’un coup la protagoniste – alors que sa douceur l’enlace, que le soleil frappe son visage ou qu’elle partage un repas avec ses ami.es. Le feu est l’image qui revient le plus souvent dans l’œuvre – dans le lexique comme dans le visuel – : il prend vie dans les plaies de la narratrice et va jusqu’à substituer sa tête. Cette figure rend compte de l’imprévisibilité des troubles psychologiques, des marques qui sont laissées sur le corps, le cœur et l’égo et de la difficulté à se reconstruire.
Charlotte Gosselin fait un portrait honnête et sans retenue de la complexité des maladies mentales. Le sujet – encore trop souvent tabou – de ce roman graphique est important et il est abordé avec une grande sensibilité par l’autrice. Elle met tout en œuvre pour livrer un magnifique récit intime et touchant à ses lecteur·ice·s et c’est tout à son honneur.
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Charlotte Gosselin, Je prends feu trop souvent, Montréal, Station T, 2022.
Autrice : Eve Lemieux-Cloutier
[1] https://www.charlottegosselin.com/biographie
[2] Les mots et passages empruntés au livre Je prends feu trop souvent ont été mis en italique pour alléger le texte.