Du 21 novembre au 3 décembre 2020, Marie Ayotte et sa compagnie, Théâtre Déchaînés, présentent Planétarium 2.0, une réinvention du spectacle Planétarium, récipiendaire du prix du meilleur texte dans le cadre du Festival St-Ambroise Fringe de Montréal en 2018. Cette expérience interactive, qui prend la forme d’un journal intime ouvert à l’autre, offre à son public un heureux mélange de théâtre, d’improvisation, de manipulation multimédia et de clavardage anonyme, le tout en temps réel et dans le but avoué de l’amener à réfléchir et à échanger, s’il le désire, sur les troubles anxieux.
Quelques heures avant la première de Planétarium 2.0, le samedi 21 novembre, je reçois le «Cahier de préparation» de la pièce. On m’informe que je devrai m’installer confortablement dans une pièce sombre et on me recommande de porter des écouteurs. J’apprends également que je recevrai un identifiant qui me permettra de conserver mon anonymat sur la plateforme de clavardage, qui sera accolée à l’écran de visionnement.
Trente minutes avant la représentation, je peux déjà me connecter sur la plateforme web spécialement créée pour cette expérience par l’artiste et consultant technologique en art Pierre Tremblay-Thériault. On m’assigne le nom d’une étoile. Dans l’espace de clavardage, Ayotte, qui signe le texte et la mise en scène, nous indique qu’il est déjà possible de cliquer sur le bouton play. Je m’exécute. Des images à la fois floues et lumineuses m’accueillent, tout comme un visage de femme placé à l’envers sur mon écran. Il s’agit de celui de la comédienne Andrée-Anne Giguère, qui se prépare avant sa performance : «Si jamais vous ne voyez pas son lavage (expert) de miroir, vous pouvez réactualiser l’onglet», écrit Ayotte. Les autres étoiles participantes soulignent leur hâte de vivre l’expérience, ou encore le bonheur de le faire en vêtements «mous», dans le confort de leur salon. Pour ma part, la plateforme de clavardage m’intimide et la simple idée de participer au spectacle me stresse, ce qui, je le sais bien, est contre-productif dans le cadre d’une expérience qui vise à traiter des troubles anxieux de manière apaisante et respectueuse. À mon grand soulagement, Ayotte nous informe qu’il est possible de garder le silence et souligne qu’il s’agit de notre expérience: nous avons l’entière liberté de la vivre comme nous le désirons. Je choisis donc de ne pas participer et de simplement écouter. Cette résolution est bien vite abandonnée.
C’est d’abord par le biais de la magnifique trame sonore que le spectacle m’invite à baisser ma garde. Enveloppante, voire envoûtante, l’ambiance musicale créée par la talentueuse Janine Fortin m’apaise au point que j’en viens à manquer certaines paroles des comédiennes, les tout aussi douées Andrée-Anne Giguère, Émanuelle Caron et Mélanie Michaud, qui livrent une interprétation toute en sensibilité et en délicatesse à partir de leur demeure respective. Le dispositif choral créé par leurs voix douces, parfois chuchotées, qui se chevauchent et qui se répondent par effets d’échos ou de canons, m’immerge davantage dans l’univers éthéré imaginé par Ayotte. Les magnifiques images engendrées par les vidéos que manipulent les actrices en direct participent de cette agréable plongée. Les jeux de miroirs et de lumières créent des reflets kaléidoscopiques où s’entremêlent divers liquides, billes, confettis et mousses. À partir de ces objets, les comédiennes élaborent un planétarium dont la voûte — notre écran — paraît véritablement traversée de corps célestes en mouvement.
Les diverses informations et réflexions au sujet des profondeurs de l’univers qui accompagnent ces astres aqueux au début du spectacle font rapidement place à une question anxiogène qui, répétée à plusieurs reprises, semble au cœur du projet d’Ayotte: pendant que des étoiles meurent dans le ciel, que fait-elle? En d’autres mots, quel sens peut-elle donner à sa vie? Lorsqu’elle nous demande, par le biais du clavardage, si l’anxiété provoque des questions similaires en nous, je me surprends à écrire une réponse. Totalement détendue et immergée dans l’expérience multimédia, je suis à l’aise d’énoncer mes propres réflexions. Ces dernières semblent d’ailleurs partagées par d’autres, y compris les artistes qui, sur le vif, discutent au sujet d’une de mes propositions. Je me sens moins seule. Ayotte nous invite à réfléchir avec elle sur les moteurs de notre anxiété, nos outils pour la gérer et ses conséquences sur notre vie au quotidien et sur nos relations interpersonnelles. En ces temps d’isolement, ce moment de partage devient précieux pour moi et je suis persuadée qu’il continuera de m’habiter longtemps. Paradoxalement, l’autrice et les comédiennes parviennent à offrir un moment de répit aux personnes qui sont aux prises avec des troubles anxieux, et ce, même si elles mettent de l’avant des pensées plutôt angoissantes. Il s’agit là d’une opinion basée sur une expérience bien personnelle, et je ne serais pas surprise que d’autres voient leur niveau de stress augmenter au cours de cette expérience. Bien qu’elle ne soit pas mimétique, la représentation d’une crise de panique me paraît notamment susceptible de bouleverser des participant·e·s, à l’instar de certaines réflexions sur le suicide. Or, les artistes installent un climat de confiance, rapidement renforcé par la microcommunauté intime formée de seulement dix spectateur·trice·s et d’Ayotte dans l’espace de clavardage. L’autrice insiste également sur le fait que chacun·e doit respecter ses limites et rappelle qu’il est possible de fermer l’onglet de la représentation à tout moment. Par ailleurs, le cahier de préparation fournit des ressources à ceux et celles qui en ressentent le besoin. J’ai jugé bon de les recopier ici:
Revivre: www.revivre.org, 1 866 REVIVRE (738-4873)
Phobies-Zéro: www.phobies-zero.qc.ca, Ligne d’écoute: 514 276-3105 / 1 866 922-0002
Écoute Entraide: www.ecoute-entraide.org, 514 278-2130
Tel-Aide: www.telaide.org, 514 935-1101
Association des psychothérapeutes du Québec: https://psychotherapeutesquebec.ca
Psy Québec: www.psyquebec.ca
Vous pouvez assister à la lumineuse expérience interactive Planétarium 2.0 jusqu’au 3 décembre pour 30$. Pour chaque billet vendu, le Théâtre Déchaînés remettra 1$ à Revivre, un organisme à but non lucratif qui aide ceux et celles qui vivent avec un trouble anxieux, dépressif ou bipolaire ainsi que leurs proches. Un don à Revivre a d’ailleurs été fait au nom de l’Artichaut.
Pour acheter vos billets, c’est par ici: https://www.theatredechaines.com/billetterie-plantarium-2
Couverture réalisée par Jeanne Murray-Tanguay, candidate à la maîtrise en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal et cheffe du pupitre Corps en scène de l’Artichaut magazine.