Imaginée pour la première fois il y a plus d’une décennie, Skate Park est une œuvre qui a été remaniée et transformée à de nombreuses reprises au fil des ans jusqu’à sa publication par Front Froid en novembre dernier. Avec Dominique Carrier au scénario et Jeik Dion au dessin, la maison d’édition montréalaise offre une nouvelle bande dessinée éclatée et éclectique se déroulant dans un univers postapocalyptique. Dans un décor d’après-guerre, deux clans de femmes s’affrontent pour la possession de territoires nécessaires à leur survie. Armées de leurs patins à roues alignées ou de leurs skates, ces femmes se défient dans des courses périlleuses à travers les ruines de la ville. Les couleurs vibrantes de l’œuvre attirent immédiatement le regard ; s’amusant avec les couleurs primaires, Charlotte G. Soucy apporte une dimension originale au récit avec son travail de coloration. Imprimées sur du papier coloré, les planches de l’œuvre sont ombragées à l’aide d’une seule autre couleur, ce qui donne un résultat semblable à celui des mangas en noir et blanc. Les sections colorées servent à diviser l’action et il est intéressant de noter que chaque fragment se caractérise par une couleur d’ombrage différente.
Skate Park est avant tout un récit d’action. La rivalité des Skhates et des Blades est au cœur de la bande dessinée et elle se traduit par une série de courses extrêmes et parfois violentes. Exclues du dôme où le reste de la population est protégée, ces femmes doivent apprendre à survivre dans un milieu inhospitalier et périlleux. La bande dessinée contient finalement très peu de texte puisqu’elle se concentre plutôt sur la mise en place d’un univers postapocalyptique à travers de nombreuses planches illustrant la destruction de la ville et les vestiges de la guerre, ainsi que sur le déroulement des courses en tant que tel. Malgré le fait que j’aurais aimé que les artistes creusent un peu plus le contexte socioculturel du récit, ils fournissent juste assez d’informations pour suggérer au lectorat un univers riche et complexe, tout en gardant une part de mystère. Les nombreuses planches silencieuses qui illustrent le monde d’après-guerre sont à la fois solennelles et intrigantes : on prend la pleine mesure de la destruction de la ville. Le choix d’intégrer autant de scènes silencieuses dans le récit permet une expérience de lecture plus immersive, on ressent profondément l’instabilité et la précarité qui influencent l’existence des personnages.
D’un autre côté, les courses qui animent le quotidien des personnages provoquent un effet de lecture contraire à celui des scènes de destruction contemplatives. L’action rapide et téméraire nous entraîne dans un quotidien marqué par l’adrénaline. Les courses sont captivantes et témoignent de l’ingéniosité et de la détermination des femmes. Malgré la rivalité existante entre les clans, j’ai trouvé touchant les scènes d’entraide entre femmes de différentes générations. Réunies par un même impératif de survie, les plus âgées se servent de leur expérience pour enseigner leurs connaissances aux plus jeunes, alors qu’elles-mêmes se réfèrent à la sagesse de l’Ancienne. Même dans les pires conditions, ou peut-être à cause de celles-ci, on retrouve une certaine forme de soutien et d’entraide au sein des différents groupes. Malgré la séparation entre les Blades et les Skhates, on réalise rapidement que les femmes de ces clans ne sont pas si différentes les unes des autres.
Skate Park est une œuvre originale dont l’esthétique éclatée et punk correspond bien à l’univers intrigant du récit. Le seul défaut de cette bande dessinée est qu’elle se lit trop rapidement : on en voudrait encore plus!
Carrier, Dominique, Jeik Dion et Charlotte G. Soucy, Skate Park, Montréal, Front Froid, 2023, 300 p.
Article rédigé par Éloïse Huppé-Gignac