La nature ambiguë du verre – matière à la fois fragile et solide, transparente mais parfois déformante – permet à l’artiste-verrière Michèle Lapointe de s’interroger sur la légèreté et la lourdeur de vivre, dans tout ce qu’elles ont de caché et d’élusif. Son exposition Mettre la tête où l’on pense, inspirée par le roman Carapace de Marie Auger (Lévesque éditeur, 2005), est une douce tentative de frôler ce qui fait la beauté et la douleur de l’être.
En pénétrant dans la salle à l’éclairage tamisé, on aperçoit d’abord une diagonale d’installations rétroéclairées. Des boîtes de carton érigées sur de fines pattes sont surmontées par des globes de verre fripés, comme à demi affaissés, qui montent et descendent en vague comme une respiration profonde. Sur les murs, de grandes photographies en noir et blanc rappelant des toiles de projecteur dialoguent avec les sculptures dans le clair-obscur.
À l’intérieur de chacune des 13 boîtes qui divisent la pièce, des photomontages, des bribes de texte et des objets divers sont en partie cachés, en partie dévoilés par des pièces de verre qui créent des effets de loupe, de déformation, d’anamorphose. On se penche au-dessus de ces grandes bulles de verre où chaque angle amène une nouvelle lecture, certains éléments répétés, magnifiés; d’autres disparus ou déformés.
La diagonale tracée par les installations – que l’on peut envisager comme un parcours chronologique — commence par l’enfance pour se rendre jusqu’à la vingtaine, âge de la protagoniste du roman. À son extrémité, la photographie d’une chaise vide. Cette image de la chaise, parfois vide, parfois habitée par le modèle, se retrouve autant dans les photos accrochées sur les murs que dans les photomontages des installations.
Dans les séries photographiques, une jeune femme, le visage voilé par ses cheveux ou ses bras, se cache en même temps qu’elle s’offre à notre regard; se repliant graduellement sur elle-même, dans un mouvement qui rappelle celui de la protagoniste de Carapace qui, comme une tortue, «rentre la tête loin à l’intérieur parce qu’il fait trop mauvais dehors» (p. 36).
Plusieurs éléments rappellent d’ailleurs le roman: la boîte de carton où dort la protagoniste, musicienne de rue itinérante, servant ici de nid aux installations; les bulles de verre, semblables à des ballons dégonflés, qui rappellent le «ventre en verre» du personnage; et la diagonale tracée par les installations, qui reproduit l’un des sentiers qui traverse le parc Molson, où se déroule le roman.
Michèle Lapointe se considère comme une artiste autodidacte qui, même si elle touche à plusieurs médiums, est attirée avant tout par le verre. Elle a travaillé cette matière tout au long de sa carrière, autant dans le domaine de l’art public que dans ses œuvres personnelles, et occupe d’ailleurs un poste de professeur chez Espace Verre, seule école de métiers d’art du verre au Québec. Si son travail en art public est surtout porté vers l’Autre, vers la rencontre avec les occupants du lieu investi par son œuvre, ses expositions solos prennent une tournure plus personnelle et creusent plus profondément dans la blessure profonde de l’être.
On remarque une continuité certaine de Mettre la tête où l’on pense avec la dernière exposition solo de l’artiste, Contes muets et non-dits sous verre, qui explorait les thèmes des blessures de l’enfance, de la mémoire et des contes, au travers d’un imaginaire rassemblant les poupées brisées, les lits d’orphelinat, la figure du loup et les bribes de texte. Ici aussi, Mettre la tête où l’on pense est une réflexion sur la fragilité de l’être, toute faite de réitérations et de déformations. C’est une douleur sourde, mais poétique, brillante et douce comme sa matière de prédilection, que Michèle Lapointe nous présente sous tous ses angles, avec mystère et transparence.
Mettre la tête où l’on pense est présenté à la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal jusqu’au 7 mai.
Article par Chloé St-Arnaud.