En février dernier, David Turgeon publiait sa huitième œuvre au Quartanier, Le roman d’Isoline. Il y explore à nouveau l’univers de la littérature et s’enfonce cette fois au cœur même des procédés d’écriture. Tout de cette œuvre est intrigant, à commencer par son allure épurée. De ce fait, le résumé ne tient que sur une ligne : « moi je n’y suis pour rien, c’est elle qui a tout fait[1] ». L’absence de majuscule et de point nous met dès lors la puce à l’oreille quant à la digression des normes qui s’ensuivra dans le roman.
En effet, dès les premières lignes, nous distinguons que l’auteur défie les normes d’écriture. Il néglige la présence de majuscules et de points, nous plongeant dans un roman contraignant. David Turgeon nous amène dans un récit qui se réfléchit au même rythme qu’il s’écrit. L’œuvre donne parfois l’impression d’être une expérience littéraire, parfois une critique du monde éditorial. Effectivement, comme la mise en abyme nous expose à l’écriture même du roman par la protagoniste, nous avons accès à toutes les réflexions qui l’accompagnent. En ce sens, certains passages nous font sortir de l’histoire pour nous mettre face à des observations, comme dans l’extrait suivant : « je m’aperçois que j’aurais dû changer de chapitre, je ne sais pas exactement où[2] ». Ces passages effacent entièrement le travail de l’auteur ; Isoline sort complètement de son cadre de protagoniste et devient l’instigatrice de ce texte. Plus loin dans le roman, des échanges d’idées entre Isoline et son éditrice se retrouvent également en bas de page. David Turgeon va plus loin encore en insérant dans son texte une note de bas de page qui dépasse la limite qu’il s’est imposée, puisqu’elle s’étend sur deux pages.
Le roman nous fait entrer dans l’univers étrange d’Isoline. Alors qu’elle est assistante éditoriale, la protagoniste sauve l’autrice Paula Kahl. Ayant deviné un message subliminal derrière le titre de son dernier manuscrit, Ce train ne s’arrête plus en gare, Isoline passe chez l’autrice et intercepte sa tentative de suicide. Aussitôt, un lien se tisse entre les deux femmes. Alors que Paula Kahl désire lui apprendre à écrire, Isoline feint de plonger dans un projet d’écriture, elle qui ne possède que des titres. Lorsque, quelque temps plus tard, Paula décède, son esprit visite Isoline et la guide dans son écriture. La protagoniste use ainsi d’un ton satirique alors qu’elle affirme être dans l’incapacité d’écrire, tout en rédigeant un roman entier.
Cette métafiction plonge les lecteurs dans un univers flou entre le réel et la fiction. J’étais moi-même parfois confuse par rapport à où se situait la ligne entre les deux, car l’écriture à la première personne et l’accès aux différentes étapes d’écriture donnent un effet de réel au roman. La protagoniste est d’ailleurs très difficile à saisir, autant pour nous que pour les autres personnages. Elle brosse un portrait d’elle-même qui répond aux attentes de la personne à qui elle s’adresse, ce qui fait en sorte que nous ne pouvons jamais réellement mettre le doigt sur son identité. En somme, Isoline s’écrit d’elle-même.
Selon moi, ce métavers littéraire brillamment construit, qui revisite le rapport à l’auteur, à l’éditeur et à la critique, est réservé à un public assez niché.
[1] David Turgeon, Le roman d’Isoline, Montréal, Le Quartanier, coll. « Série QR », 2024, Quatrième de couverture.
[2] Ibid., p. 28.
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Turgeon, David, Le roman d’Isoline, Montréal, Le Quartanier, coll. « Série QR », 2024, 208 p.