Au début du mois de mars, notre journaliste, Anatole De Baerdemaeker, s’est rendu aux Francouvertes pour y découvrir la relève musicale francophone. Il y a découvert Narcisse et son électro-pop mythologique.

Le mois de mars bien entamé, il semble être le moment plus qu’approprié pour s’intéresser à Narcisse: le protagoniste du mythe relaté par, entre autres, Ovide dans son oeuvre, longue de 15 livres, les Métamorphoses. L’occasion de tirer l’évident parallèle avec Narcisse, l’artiste, incarné.e par Marjorie Pednault. L’auteur.e, compositeur.e et interprète, accompagné.e par le guitariste Super Plage (également connu sous le nom de play.soft) et par les danses sensuelles et fluides d’Utopia.
Le mythe
Ce qui nous vient immédiatement à l’esprit quand on pense au mythe de Narcisse, c’est ce dialogue toxique entre lui et son reflet. Il se parle, se regarde, s’imite tout en faisant son contraire. Il s’étudie en analysant chaque détail de son visage.
Ton aimable visage me promet je ne sais quel espoir,
et, lorsque je tends les bras vers toi, spontanément tu tends les tiens
à mes sourires, tu souris en retour ; souvent même j’ai vu tes larmes
quand je pleurais ; d’un geste de la tête, tu réponds à mes signes
Devant nos yeux, sur scène, Narcisse joue ce jeu là. D’abord à travers ses paroles, destinées à son autre, son double; ensuite à travers sa gestuelle et les danses sensuelles bien chorégraphiées avec Utopia. Au-delà des paroles, c’est la voix de Narcisse qui se promène sur la musique, de la même manière que le Narcisse du mythe se promène sur son propre reflet, sur sa propre image en s’observant.
Afin de dessiner un parallèle cohérent et complet, il est important de comprendre ce que le mythe de Narcisse nous raconte réellement. Si on aime se rappeler de l’histoire comme une mise en garde contre le fait d’être imbu de soi, il n’en est pas tout à fait ainsi. Narcisse ne sait pas qu’il s’observe lui-même en se penchant au-dessus de l’eau. Il ne sait pas qu’il s’étudie et qu’il dialogue avec lui-même. Il analyse chaque détail de son propre visage, il finit par se connaitre mieux que personne. Sur scène, Narcisse confirme cette connaissance de soi. En effet, ille se connait, ille sait qu’ille est, ille vit son personnage du début à la fin. Narcisse s’affirme sur scène et dans sa musique. On ne peut que se laisser entrainer par cette assurance et par les morceaux qui se succèdent. Narcisse a l’aisance nécessaire pour emmener le public avec soi. Comme dans le poème d’Ovide, le public tomberait-il doucement en amour avec ce personnage qui se métamorphose littéralement sous nos yeux?
Métamorphose(s)
En effet, la métamorphose est physique, tant dans le poème que dans le show. Sur papier, Narcisse se laisse mourir pour se métamorphoser en fleurs, en narcisses. Sur scène, la métamorphose s’accompli sous nos yeux. En ouvrant sa chemise, en laissant glisser celle-ci de ses épaules et finalement en se frappant le torse de peinture rougeâtre, Narcisse se métamorphose littéralement. Une allusion directe au poème d’Ovide.
Les coups portés donnèrent à son torse une teinte rosée
Ceci, avant de quitter la scène recouvert.e d’un drap blanc en guise de toge. C’est comme un narcisse, tout de blanc vêtu, et jaune en son centre, que la tête blonde de Narcisse quitte la scène. Signe d’une métamorphose achevée comme les deux derniers vers du poème nous le proposent.
le corps ne se trouvait nulle part ; au lieu d’un corps elles trouvent
une fleur au coeur couleur de safran, entourée de pétales blancs.
Le mythe de Narcisse est également une métaphore du rite de passage entre l’enfance et l’âge adulte. Il se trouve à ce moment crucial de la vie de tout jeune grec. La métamorphose est imminente !
en effet, à ses quinze ans, le fils du Céphise avait ajouté une année
et pouvait passer pour un enfant ou un jeune homme
L’enfant parviendra à compléter ce passage seulement quand il se connaitra totalement, confiant de ce qu’il est et de ce qu’il devient. C’est la quintessence du rite : on n’attend pas de l’enfant de devenir quelque chose en particulier, on attend simplement qu’il se connaisse, qu’il soit satisfait de ce qu’il est, qu’il atteigne une sagesse véritable. Narcisse n’est pas éperdument amoureux de lui-même, il est sage et mature. Il se connait mieux que personne, ce qui lui permet de franchir ce palier. Sa mort, suivie de sa résurrection en fleurs représente cela. Il fleurit enfin, il s’épanouit. L’artiste Narcisse, tout comme Super Plage et Utopia, sont assurés et épanouis dans leur musique et sur scène. Par moments, Narcisse nous surprend avec une voix et des tonalités plus rauques ce qui donne cette impression de maturité et de sagesse. C’est un ensemble sûr de soi et affirmé qui nous fait danser et nous emmène avec eux.
Enfin, pour revenir au fait que mars est un moment plus qu’approprié pour présenter Narcisse, le mythe illustre également la métamorphose de la nature, la transformation des saisons. Mars représente la transition violente, disons guerrière pour rester dans le lexique approprié, entre l’hiver et le printemps. Comme exténué, l’hiver lâche prise et laisse fondre sa neige pour laisser place à la vie qui renait sous elle. Le printemps passe à l’acte. Je vous vole le punch, cet acte ne sera pas manqué. En rien le printemps ne ressemblera à l’hiver : c’est la forme (morphos) d’après (méta).
Dès qu’il se vit ainsi dans l’onde redevenue lisse
il ne supporta pas plus longtemps ; comme la cire blonde
se met à fondre près d’un feu léger et comme le givre du matin
se dissipe sous un tiède soleil, ainsi, exténué par son amour,
il se dissout et peu à peu devient la proie d’un feu caché
Tout au long de cette dernière métamorphose, la chaleur s’invite dans la danse, permettant aux éléments de se délier et de se libérer. Le show de Narcisse, tout comme chacune de ses chansons, c’est ça. Une évolution lente mais décidée vers des sphères plus déliées. Super Plage nous y porte, guitare à la main et clavier au bout des doigts. Utopia, en confirmant et en accentuant la sensualité de ses danses, nous montre la voix; celle de Narcisse, calme, lente et rauque qui pas à pas se réchauffe et devenant plus mélodieuse et énergique. Cette chaleur se perçoit physiquement par son dénudement graduel, à quoi bon lui servent ses vêtements? On est appelé à danser sur cette métamorphose, exécutons-nous!
Narcisse s’inspire d’Ovide et nous inspire par la suite. Légèrement en retrait, nonchalent, Super Plage fait danser le tout. Le rythme est juste et interrompu aux bons moments, il nous prend avec lui dans l’univers tragique et sensuel de Narcisse. Sans surprise, les libertés qu’il se permet sont puissantes et séduisantes, particulièrement pendant les ascensions vers l’apogée des différents morceaux. Des montées tout aussi séduisantes qu’Utopia qui ne fatigue à aucun moment, bien au contraire. Ses quelques absences de la scène provoquent une surprise toujours plus grande à chaque réapparition, aidé.e par des tenues toujours plus extravagantes.
Narcisse, c’est un show, un personnage, de la musique convaincante. Narcisse dégage une confiance et un calme étonnant qui ne l’empêchent pas de se laisser aller sur sa propre musique et sur les pas de danse d’Utopia. Super Plage est quant à lui peut-être plus discret dans ses mouvements, il n’en demeure pas moins essentiel pour tisser le lien entre la voix de Narcisse et les mouvements d’Utopia. Narcisse c’est un projet réfléchi, travaillé et soigné qui appelle à plus.
Anatole De Baerdmaeker
Découvrez l’EP Narcisse par Narcisse. Sensuel, dansant, envoutant.