Maple est en prison lorsqu’elle entend parler de deux meurtres sordides : des victimes forcées de manger leurs doigts avant de mourir. Ce n’est pas l’incarcération de cette ancienne prostituée qui va l’arrêter, bien au contraire! Maple est plutôt déterminée à mettre le doigt sur le coupable, qu’elle appelle chaleureusement « le Chef Boyardee de la phalange1 ». Comme le meurtrier s’attaque à des hommes et des femmes qu’elle soupçonne fortement d’être des travailleur·euse·s du sexe, Maple s’attribue rapidement l’enquête. Elle s’allie astucieusement à l’enquêteur Beaudoin, lequel lui donne des informations sur le tueur en échange de celles qu’elle peut récolter par l’entremise de ses contacts dans Hochelaga. En effet, ses connaissances du milieu et son bagage en tant que travailleuse du sexe en font une détective qui n’a pas froid aux yeux et qui n’a pas peur d’agir.
Maple est une protagoniste « attachiante ». Elle a beau avoir un sens de la répartie incroyable, ne jamais rien prendre au sérieux et ne pas avoir honte de ses mauvaises manières, elle a le cœur à la bonne place et on s’attache rapidement à son personnage. Maple n’a pas de remords à mettre son nez dans les affaires des autres et à utiliser la force – argumentative ou physique – pour arriver à ses fins. Grâce à la puissance des mots, Maple met en lumière diverses critiques sociales. De fait, la protagoniste n’y va pas de main morte pour dévoiler les nombreuses failles du système en place dans la société actuelle : incompatibilité des services sociaux avec la demande, négligence des personnes qui ont besoin d’assistance – comme les enfants et les personnes âgées –, défaillance du système judiciaire, etc.
« On n’y peut rien, tout n’est que recherche de pouvoir, surtout pour ceux qui en manquent.2 »
J’ai découvert la plume de David Goudreault à travers le roman Maple. Il s’agissait de la première œuvre que je lisais de cet auteur, mais ce n’est certainement pas la dernière! En effet, je suis tombée amoureuse de son style unique, à la fois sarcastique et humoristique. Par son humour noir, David Goudreault réussit à rendre la lecture légère malgré les thématiques accablantes, soit une série de crimes ignominieux et de multiples enjeux sociaux. Il aurait d’ailleurs pu se tirer dans le pied en reprenant l’archétype déjà vu et revu de la prostituée. Toutefois, l’auteur a su sortir des terrains battus et ne pas s’empêtrer dans les stéréotypes péjoratifs. En effet, Maple est non seulement cynique, mais aussi très perspicace. Elle a énormément de vécu et est passée à plusieurs reprises entre les mailles du filet, mais ses expériences en font une protagoniste captivante. Les tournures de phrases que l’auteur lui attribue la rendent à la fois trash et comique. Goudreault joue effectivement brillamment avec les mots, formant sans cesse des phrases à double sens, comme « contrairement au printemps, la vie n’est pas plus belle quand je dégèle3 », qui donnent un certain charme à l’œuvre.
Bref, ce roman empreint d’humour noir, de cynisme et d’intrigues fut l’une de mes lectures préférées de l’année. Et que dire du dénouement, qui m’a jetée par terre. Comme l’enquêteur Beaudoin, j’étais loin de l’avoir vu venir!
1 David Goudreault, Maple, Montréal, Stanké, 2022, p. 16.
2 Ibid., p. 222.
3 Ibid., p. 12.
Goudreault, David, Maple, Montréal, Stanké, 2022, 240p.